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Tully : Une fenêtre sur le passé
Jason Reitman fait à nouveau équipe avec Charlize Theron, après Young Adult, pour nous immerger dans le quotidien d’une mère de trois enfants à bout de souffle. Dans Tully, Reitman retrouve des couleurs après son décevant Men, Women & Children sorti en 2014.
Marlo (Charlize Theron) n’est plus que l’ombre d’elle-même. Difficile de s’occuper de trois enfants en bas âge. Le sommeil est un lointain souvenir et son image de femme en prend un sacré coup. Son apparence reflète son état physique : déplorable. Mais une idée originale lui est proposée par son frère Craig (Mark Duplass), celle d’engager une nounou de nuit. Un temps réticente à l’idée de voir une inconnue s’occuper de sa progéniture, Marlo saute le pas et appelle Tully (Mackenzie Davis) à la rescousse.
Entre elles, une relation amicale se noue. Une réelle amitié qui va au-delà du rapport professionnel. Les longues discussions nocturnes, les choix de programme télé ou la confection de cupcakes, les deux femmes s’entendent à merveille. Marlo en oublie même d’aller dormir. La « facilitatrice de sommeil » devient une amie, une confidente qui prend une place de choix dans les décisions de Marlo.
La connexion du « lien dangereux »
La plume de Diabolo Cody, l’auteure de Young Adult, est aussi drôle que piquante. « Je suis pourvue de beaucoup d’énergie comme l’Arabie Saoudite », souffle Tully. Des petites phrases humoristiques et acérées, dans lesquelles se mélangent des citations philosophiques et littéraires – Samuel Pepys est évoqué. Un script que Jason Reitman exploite subtilement, réussissant à garder cette retenue, cet humour désabusé, cette dimension dramatique. Une existence digne des montagnes russes. Un rôle de mère dans lequel Marlo se sent perdue, devenue flasque et indésirable. De son propre aveu, elle est tout simplement vide.
Photo copyright : Mars Films
La peur de voir sa jeunesse s’envoler. La peur de se connecter avec le « lien dangereux », celui du rôle de femme au foyer – le sujet est parfaitement abordé et traité dans le film. « La vingtaine est tellement belle et la trentaine reste sourde dans un coin de votre tête, elle vous guette », se désole Marlo. Elle ne se projette plus, elle survit et subit l’enfance compliquée de Jonah, son fils. Marlo retrouve un peu de réconfort en Tully, ce qu’elle ne trouve pas avec son mari Drew (Ron Livingston), happé par son job et aveugle – sans le vouloir – face au mal-être de sa femme.
Le mal est profond et reste enfoui. Seule la nounou d’enfer réussit à crocheter le cadenas grâce à sa désinvolture et sa joie de vivre. Le conflit n’est pas visible, il est invisible. Tully s’amorce comme une confession silencieuse, abrasive au moment du dénouement, imprévisible et poignante dans la forme donnée par le duo Reitman/Cody. Les douces mélodies de Rob Simonsen, semblables à celle entendues dans The Spectacular Now, vous plongent encore un peu plus dans le quotidien d’une mère à bout de forces, mais obstinée à faire comme si de rien n’était.
Charlize Theron « maltraitée » par Reitman
Une mère aux abois. Pour se glisser sous les traits d’une mère désespérée, Charlize Theron n’a pas lésiné sur les moyens. Flasque, peu en forme, la splendide actrice s’est enlaidie pour la peine. Une nouvelle fois « maltraitée » par Jason Reitman, après leur première collaboration dans Young Adult. L’actrice sud-africaine réussit une performance solide, parfaitement épaulée par une Mackenzie Davis solaire, somptueuse d’innocence dans un rôle de nounou étrange.
De l’excellence pour un film qui explore habilement les tracas de la maternité. On retrouve cette authenticité qui définit le travail de Reitman, profondément ancré dans une réalité parfois difficile à gérer, mais qu’on préfère taire. Le mal-être tourné à la dérision, gardant une profonde touche dramatique qui fait mouche, qui vous cloue sur votre siège. Tully est de prime abord un film lisse qui s’intensifie dans le propos qu’il développe. Le mariage, les enfants, le couple, l’âge. Tout autant de facteurs sournois pour la femme – en tout cas dans Tully. La peur de la vie imparfaite se dresse comme un seul homme. Une fenêtre sur le passé où règne mélancolie et complexité. Excellent !
Casting : Charlize Theron, Mackenzie Davis, Ron Livingston, Mark Duplass
Fiche technique : Réalisé par : Jason Reitman / Date de sortie : 27 juin 2018 / Durée : 96 min / Scénario : Diabolo Cody / Musique : Rob Simonsen / Photographie : Eric Steelberg / Distributeur suisse : Ascot Elite