Tenet : le point de bascule d’un carré maléfique

Tenet, l’arrivée du grand Christopher Nolan dans les cinémas. Le « film de l’après » comme il a si souvent été appelé. Alors, est-ce le film messianique, le grand sauveur, l’expérience unique qu’on ne peut vivre que dans une salle obscure ?

Par où commencer ? Comment résumer ce morceau de plus de 150 minutes ? Là est la question, car l’histoire est à emmurer derrière un seul mot : Tenet. Mais c’est quoi Tenet ? Nolan veut jouer, alors on va jouer et apprendre notre leçon. Tenet est tiré du carré de Sator, un carré magique contenant un palindrome latin : Sator – Arepo – Tenet – Opera – Rotas. Chacun de ses mots a sa propre signification et l’intrigue se trouve là, dans une immense tenaille temporelle appelée Tenet. Tenet (le film) tient sur une grande boucle temporelle, où le protagoniste (John David Washington) a pour mission de déjouer un complot international. Sauver le monde à travers des portails temporels, sans voyager dans le temps, mais en jouant avec les lois temporelles, le fameux renversement.

5 mots pour comprendre l’axe du film (ou pas)

Sauver le monde à travers un immense réseau d’espionnage. La menace la plus imminente nous vient d’Andrei Sator (Kenneth Branagh), le maître du jeu si on ose l’appeler ainsi. Tiens, Sator. Traduisons-le : laboureur, planteur, semeur, ou créateur, père, auteur. Pièce indispensable du puzzle pensé par Nolan qui nous emmène dans l’axe du film : Tenet, qu’on traduit par : il tient son pouvoir, voire maintient. Vous suivez ? Cette appellation est l’axe entre le futur et le passé, ce fameux point de bascule.

Christopher Nolan mise continuellement sur une ambiance tendue. Mise en scène clinique, froide, grand spectacle d’espionnage où les combats chorégraphiés s’imbriquent pour capter l’attention du spectateur. Tout file à une vitesse effrénée, de pays aux situations dantesques. La musique, parfois virtuose de Ludwig Göransson, nous embarquant sur les ailes d’une grâce particulière, propre aux accents « nolanesques », comme cette séquence immersive d’une navigation de bateau « volant », plastiquement sublime. À travers temps et changements, la dimension intellectuelle, il y a ce blockbuster qui brille au milieu de multiples scènes d’action. De la séquence d’ouverture de l’opéra, sacrément intense, orchestrée aux petits oignons, à la scène furieuse de l’autoroute, Tenet nous ébauche des moments nerveux, vertigineux lorsque Nolan ne s’attarde pas à nous perdre dans ces divers renversements temporels.

L’expérience visuelle vaut son pesant de cacahuètes, mais derrière la vitrine, à l’intérieur du scénario, les ressorts imaginés ont tendance à semer le spectateur dans les méandres d’une réflexion. Cette obsession du temps avale le facteur divertissement, en maquillant son oeuvre d’une démonstration intellectuelle. Soit. Mais malgré la longueur, le temps défile et le regard reste souvent captivé par cette quête du futur inversé.

Pattinson et Washington répondent présent

L’impossibilité de tout comprendre à la première vision n’enterre pas le film complètement. Le petit tour de passe-passe a son charme, se perd parfois dans des bavardages, mais se règle sur une action cadencée. Tenet est avant tout une expérience, frustrante et riche, tanguant entre l’abstraction et l’imaginaire. Nolan joue et se sauve par sa maîtrise – pas la narrative – qui navigue entre confusion et rigidité, mais garde le cap fermement.

L’esprit remué, retourné dans tous les sens, lessivé par une course contre le futur, difficile de ne pas se faire absorber. Un sentiment mitigé dans la formule finale, qui ne l’est pas pour le casting. Robert Pattinson et John David Washington forment un tandem charismatique. Branagh cabotine un peu, mais reste tout à fait crédible dans son costume de méchant russe. Des pions (humains) dispersés sur un grand échiquier pour former un labyrinthe cérébral. Le James Bond SF, ambitieux, cherchant à jouer sur ce concept d’inversion du temps expose des ratés et des réussites – à boire et à manger, en somme. Et derrière les monologues de Sator, Nolan continue de disséquer le temps, de le modeler pour effondrer « le destin » derrière une chose qui apparaît comme bien étrange : la réalité. La configuration a de quoi nous interroger, comme les manies d’un cinéaste un peu trop sûr de son talent, aussi indiscutable soit-il.

Casting : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Dimple, Kapadia, Aaron Taylos-Johnson, Himesh Patel, Clémence Poésy, Michael Caine, Kenneth Branagh

Fiche technique : Réalisé par : Christopher Nolan / Date de sortie : 26 août 2020 / Durée : 150 min / Scénario : Christopher Nolan / Musique : Ludwig Göransson / Photographie : Hoyte Van Hoytema / Distributeur suisse : Warner