Dans cette « fable inspirée d’une vraie tragédie », Pablo Larrain prouve une nouvelle fois qu’il est un cinéaste impressionnant, fascinant et fasciné par des personnages se consumant dans leur propre présent, écrasés par l’ampleur de leur tâche.
Dès que je sors d’un film signé Pablo Larrain, je me sens inspiré comme jamais. Et « Spencer » ne déroge pas à la règle. On en ressort ébloui par la beauté, par la complexité du récit et des sentiments qui animent l’histoire étalée sur 3 jours. 3 misérables jours pour Diana, dans cette immense bâtisse où le passé se marie avec le présent, et l’avenir n’est que poussière envolée. Le domaine de la reine à Sandringham est une bulle temporelle où les festivités de Noël sonnent la trêve entre la princesse Diana (Kristen Stewart) et le prince Charles (Jack Farthing). Un scénario, avec des libertés par rapport à l’Histoire, qui rebat les cartes d’une famille royale envahissante, où les traditions ne doivent être transgressées.
Anne Boleyn en aide à Diana Spencer
La figure de Anne Boleyn – interprétée par Amy Mason – ne cesse d’errer. Son fantôme ne fait qu’un avec Diana Spencer. Encore une fois, le poids du passé enterre le présent. Il n’y a plus d’avenir pour Diana. « Il n’y a plus de futur. Le passé et le présent sont la même chose. » Cette phrase résume une pellicule complexe, dessinée (admirablement) par un cinéaste qui persévère dans des portraits de femme hors-norme. Après le monumental « Jackie », l’excellent « Ema », place à « Spencer » et l’existence tragique de Diana. Mais il est plus intéressant de cibler un facteur dans cette phase artistique de Larrain : outre les 3 portraits, le réalisateur chilien avait réalisé la série « Lisey’s Story » pour Apple TV+. Là encore, le sujet central tiré du bouquin de Stephen King obsède Larrain : le poids de l’héritage, ces personnages enfermés dans les carcans d’un passé – qui ne leur appartient pas – difficilement supportable. Dans « Spencer », tourné avec une esthétique délavée et grise, Diana étouffe face à sa belle-famille, perd le sens des réalités à force, spécialement le dernier jour, pour enfin déborder sur des hallucinations incarnées par Anne Boleyn.
Un manoir diablement grand et vide, sans âme, s’offre à une jeune femme désemparée qui souhaite rejeter l’ordre royal. Par des touches brillantes, par des scènes intenses, le film évolue, s’immisce de manière à introduire une introspection. Les rideaux sans cesse fermés pour ne pas attirer l’objectif des photographes, la jeune femme reste dans le noir au propre comme au figuré. De long couloirs qui s’étirent et que Diana arpente pour se cacher des autres, pour respirer la solitude. Ses envies de fuir un personnel omniprésent, comme le Major Alistair Gregory (excellent Timothy Spall), se transforme en une fuite vers l’innocence de l’enfance. Le parfait scénario de Steven Knight démontre un désir brûlant de renouer avec l’enfance quand tout vous échappe. Pour la peine, une phrase de l’écrivain Roland Jaccard me revient : « on ne se remet jamais d’une enfance heureuse ». Diana aurait apprécié.
Alors que son mariage périclite, Diana profite de se retourner vers ses 2 dernières raisons de vivre : ses fils. Et dans cette percée personnelle, Larrain s’applique à nous conter les déboires d’une femme que la royauté a souillée. « Spencer » n’est pas un biopic, mais un chemin dans un brouillard épais pour comprendre l’existence sinueuse de Diana, et non reconstituer les faits. S’ajoute la performance XXL de Kristen Stewart, sublimée par la maestria de Pablo Larrain, pour vous clouer sur place. À savourer.
Casting : Kristen Stewart, Timothy Spall, Jack Farthing, Sean Harris
Fiche technique : Réalisé par : Pablo Larrain / Date de sortie : 17 janvier 2021 / Scénario : Steven Knight / Durée : 1h55 / Distributeur : DCM / Musique : Jonny Greenwood