Perdre l’audition alors qu’on est musicien, un sacré dilemme. La problématique est complexe, rendue vertigineuse lorsque le réalisateur Darius Marder et le concepteur sonore Nicolas Becker vous catapultent dans une expérience immersive à souhait.
Ruben Stone (Riz Ahmed) est un batteur, un mec qui frappe sans discontinuer. Adepte du débardeur, la tignasse décolorée et un passé d’héroïnomane – sobre depuis 4 ans -, le musicien va être frappé par une surdité fugace. C’est un nouveau monde qui s’impose à lui. Le deuil de l’un des sens pour embrasser les 7 étapes du deuil. Un chemin sinueux, une convalescence pour une existence déjà difficile.
Film mental
Le processus prend du temps, il s’étend et percute de plein fouet l’entourage de Ruben. C’est surtout Lou (Olivia Cooke) qui prend un grand coup : la fin abrupte d’une tournée et surtout un déracinement. Les deux amoureux se retrouvent séparés quand Ruben décide d’entrer dans un établissement géré par Joe – extraordinaire Paul Raci, tout en retenue -, lui-même sourd après l’explosion d’une bombe au Vietnam avec un penchant destructeur pour la bière. Le vétéran s’est donné comme mission de déconstruire la perception de la surdité comme un handicap. Et Marder d’investir ce discours comme une révélation : découvrir cet univers mental complexe en retirant ses avantages. Une approche clinique sur le cheminement d’une personne en rééducation après un tel changement, traversant une expérience qui réussit à tisser une dramaturgie à travers le brouhaha, à travers des voix pesantes qui s’enchevêtrent.
Une justesse dans les vibrations sonores, une perte auditive qui nous plonge dans un grand silence étouffé alors que l’environnement est bruyant. Un bruit blanc, une perte d’équilibre entre le monde environnant pour enfin déballer un intense processus physique vécu par Ruben. Riz Ahmed transmet cet équilibre précaire entre le monde réel et le sien, surtout cette envie de s’accrocher à une porte de sortie : celle de s’offrir des prothèses pour recouvrir l’ouïe – sa vie normale en point de mire. Mais rien ne sera comme avant, plus rien du tout.
Monologue intérieur
Sound of Metal s’évertue à user du monologue intérieur de Ruben, et d’essayer de retranscrire cette baffe sensorielle pour en dépeindre l’expression d’un étouffement tant psychologique que physique. Un voyage désorientant et empreint d’intériorité, arrangé avec une telle précision. Darius Marder, en cherchant à plonger le spectateur dans un traitement corps-son, réussit une bouleversante percée émotionnelle. Tout sonne juste, tout se construit dans le silence, dans les petits sons, dans une cacophonie progressive qui retombera dans le silence.
Une performance physique que Riz Ahmed sublime par ce mal sourd grâce à une prouesse d’authenticité – son corps est un instrument à part entière dans l’histoire. Parfois merveilleux, parfois si parfait quand Joe explique que la surdité n’est pas un handicap ; si fort quand Lou et Ruben sentent que leurs chemins prennent des directions différents. Un hymne déchirant d’un homme sur le point de voir son existence changer, qu’il le veuille ou non.
Casting : Riz Ahmed, Olivia Cooke, Paul Raci, Mathieu Amalric
Fiche technique : Réalisé par : Darius Marder / Date de sortie : 4 décembre 2020 / Plateforme : Amazon Prime Video / Durée : 1h50 / Scénario : Darius Marder, Derek Cianfrance / Musique : Nicolas Becker, Abraham Marder