Baromètre sériel #10 : 4 séries à voir ou à éviter

L’année 2021 est désormais lancée. Les séries pullulent sur les différentes plateformes et la course au visionnage file à vitesse grand v. Au chapitre du jour, nous attendions de pied ferme le retour de Dickinson sur Apple TV+ pour une seconde saison qui s’annonçait explosive, tout comme OVNI(s), cette nouvelle création originale de Canal+. Et pour clore notre quatuor de ce mois de janvier, un coup de cœur et une série solide, très solide : l’uppercut signé Ethan Hawke et sa performance furieuse dans The Good Lord Bird, et Your Honor avec un Bryan Cranston irrésistible.

Dickinson (Apple TV+)

Une seconde saison pour Emily Dickinson dans un format qui pourrait rappeler Roméo + Juliette de Baz Luhrmann : se réapproprier une époque pour la confondre avec une époque révolue. Alena Smith, avec Dickinson, le contraire de l’œuvre de Luhrmann, l’année 1859 plaquée avec la nôtre. La première saison fonctionnait dans ce moule, la seconde démarre de manière encore plus délurée.

Alors oui, la légende d’Emily Dickinson est revisitée de manière fantasmée. Ainsi fonce Alena Smith, comme elle s’était essayée dans la première levée, pour nous prouver que, une fois encore, elle sait insuffler de l’énergie grâce à une écriture carabinée. Elle sait y faire. C’est également le cas d’Hailee Steinfeld s’amusant dans la peau de la poétesse en pleine réflexion sur cette célébrité qu’elle doit embrasser – ou non. Mais si la série marche aussi bien, c’est bien grâce à sa myriade de personnages secondaires. Maggie par exemple, que Darlene Hunt campe à merveille, est absolument géniale. Ou encore Jane Humphreys (Gus Birney), la veuve canon comme elle aime se décrire, avec ses 3 acolytes Abby (Sophie Zucker), Abiah (Allegra Heart) et le tordant Toshiaki (Kevin Yee) sont d’excellents personnages pour densifier le récit.

Toujours désordonnée et savamment délurée, Dickinson surfe toujours sur ce timing comique et anachronique. Un soupçon plus audacieux, une mise en scène imparfaite mais magnétique, oui cette deuxième saison présente plus de nuance et met plus de vie. Si Sue reste l’une des préoccupations d’Emily, la célébrité prend une place importante. Si bien qu’un poème (Je ne suis personne ! Qui êtes-vous ?) de Dickinson prend la forme d’un jeune homme nommé « Nobody » (Will Pullen), l’avertissant des travers de la popularité. Une quête intérieure et dessinant le mythe Emily Dickinson.

Your Honor (Showtime et visible sur Canal+)

Un « hit and run » comme disent les anglophones. Mais derrière ce malheureux accident, cette fois-ci c’est un effet domino qui va s’amorcer. Le juge Michael Desiato (Bryan Cranston) voit sa carrière prendre un sérieux coup de frein quand son fils est reconnu coupable de délit de fuite. Mais le jeune freluquet a quitté les lieux, laissant sur l’asphalte rougi par l’hémoglobine Rocco Baxter (Benjamin Wadsworth), fils de Jimmy Baxter (le génial Michael Stuhlbarg), le grand parrain de la mafia de la Nouvelle-Orléans. Mauvaise pioche pour Desiato Jr.

Et quand un fiston fait une bêtise, il se fait au froc et retourne vers papa pour qu’il colmate la brèche. Ce comportement sera précisément celui d’Adam (Hunter Doohan), encore endeuillé par la mort de sa mère assassinée, qui s’est emmêlé les pinceaux le jour où il rendait hommage à sa défunte génitrice. Faut-il préciser qu’il s’est engouffré dans un quartier « chaud », coursé par un gang (les Desire), en perdant par la même occasion son son Ventolin au volant de sa voiture. Puis il détourne le regard et renverse un motard : le jeune Rocco Baxter (Benjamin Wadsworth). À partir de là, un mécanisme narratif se met en place et balaie les différents personnages qui vont être touchés : la mafia, les gangs, les politiciens, les avocats, les commerçants.

Cette adaptation d’une série israélienne – « Kvodo » – écrite par Peter Moffat (« The Night Of ») montre une solidité implacable. Aussi, la série profite d’un irrésistible Bryan Cranston au milieu des multiples pièces qui forment un échiquier de relations se croisant et décroisant. Un père, représentant de la loi, s’enfonce dans l’illégalité pour sauver son fils et flirte avec la correctionnelle, sue sang et eau pour sortir d’affaire son coupable de rejeton. Il y aura de la casse, de la grosse casse, des dommages collatéraux, des innocents empêtrés dans de sales draps – les ficelles tirées vont détruire des vies en mille morceaux. Un engrenage à plusieurs couches qui démontre la maîtrise narrative de « Your Honor », rigoureuse comme l’avait été récemment une série telle que « Billions » (Showtime encore et visible sur Mycanal). À ne surtout pas rater !

The Good Lord Bird (Showtime et visible sur Canal+)



Ethan Hawke a tout fait : il est derrière et devant la caméra dans « The Good Lord Bird ». Son personnage lui permet d’habiter une série qui ne manque pas de mordant et surtout d’intensité. Peut-être LA série à dévorer en ce mois de janvier.




En adaptant le roman de James McBride, lauréat du National Book Award (le Goncourt américain) avec cet ouvrage, Hawke se glisse sous les traits d’un prédicateur déluré à la prose gracieuse que la soif de justice pousse à mener une bataille sanglante contre les esclavagistes. Redouté par tous, sa réputation le précède : un abolitionniste qui sème la zizanie dans le sud des États-Unis. Dans le Kansas, tout le monde craint le crasseux John Brown (Ethan Hawke), lui qui décapite pour sonner le vent de la révolte.

Le bouquin de McBride retraversait le passé esclavagiste avec un humour grinçant. Hawke et son acolyte Mark Richard rendent justice aux écrits de McBride grâce à une mise en scène électrisante, rythmée par la violence et surtout par des discours furieux entonnés par Brown. Cette épopée sanglante aux accents tarantinesques brosse le portrait d’une Amérique scindée en deux, gangrénée par la haine et le racisme. Et si la série recèle de personnages autant furibards que charismatiques, elle le doit à son casting brillant et sa justesse d’écriture. Outre John Brown et le jeu intense de Hawke – qui pour la petite histoire comptait donner le rôle à Jeff Bridges -, le petit Joshua Caleb Johnson, 14 ans au compteur, nous offre une performance de haut vol dans la peau d’Echalote, fil rouge et narrateur du show malgré lui. La frimousse de Johnson en tête de gondole d’une valse de tronches, comme Beau Knapp dans la peau d’un des fils de John Brown, ou encore l’orateur Frederick Douglass, interprété par un génial Daveed Diggs.

« The Good Lord Bird », pour oser les superlatifs, se sublime grâce à une superbe photographie, mais est surtout une percée mélancolique et poussiéreuse à travers les mots empoisonnés et la poudre à canon. Une série Western spaghetti agrémentée d’Histoire et de dramaturgie. « Le diable oeuvre sans relâche, mais Dieu est tenace », lâche Brown, alors que les grands mouvements de caméra embrassent la nature sauvage, entrecoupés de portraits d’esclaves. Alors oui, peut-être manque-t-il d’un semblant de subtilité et Hawke force-t-il le trait – et nous, fronçant les sourcils parfois -, mais la générosité est telle et le final haletant qu’il est difficile de bouder son plaisir.

OVNI(S) (Canal+)

En 1978, à Kourou en Guyane, Didier Mathure (Melvil Poupaud) voit sa fusée exploser en plein vol. Des années de travail qui partent en fumée et le voilà persona non-grata. Son supérieur l’envoie au GEPAN (Groupe d’Études des Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés) pour reprendre les rênes de l’équipe. Mais pour ce scientifique aguerri, les enquêtes paranormales ne sont que foutaises et sujettes au railleries.

Il est si compliqué quand les esprits cartésiens rencontrent l’ésotérisme. Didier Mathure en fait partie, lui, le scientifique, le mathématicien pure souche. Pour lui, tout est explicable, tout n’est que science, et ne lui parlez pas de phénomènes paranormaux, ça n’entre pas dans son vocabulaire. Au GEPAN, l’ambiance est autre – à savoir que ce service a bel et bien existé et existe toujours. Surtout que dans les années 70, l’ufologie a connu un véritable âge d’or. « OVNI(s) » s’en amuse, avec de multiples références comme Raël, ou encore une arrivée inattendue de Steven Spielberg, campé par Paul Spera, pour travailler sur « Rencontre du troisième type 2 » – il trouvera l’inspiration pour l’un de ses futurs projets…

Dans sa tonalité, dans son écriture, la série demande un petit temps d’adaptation. Une fois digéré, la co-création de Clémence Dargent et Martin Douaire s’emploie à jouer de sa délicieuse veine rétro et trouve une élégance pour conter les aventures d’un bureau pas comme les autres. Une esthétique réussie, couleur pastel, et une bande-son bien torchée signée Thylacine, on se laisse embarquer gaiement dans 12 épisodes sympathiques.

Avec « OVNI(s) », il est aussi question d’acceptation : les événements peuvent nous dépasser. Aussi, vous y verrez une (petite) critique adressée aux esprits fermés, étrillant ces personnes cherchant à tout prix une explication. Tout n’est pas toujours explicable. Critiquant ce rationalisme et convoquant surtout cette volonté d’y croire, ou d’espérer, les deux créateurs se détournent du côté loufoque pour insuffler une couche plus sérieuse. Un scénario qui permet à Melvil Poupaud de traverser la série avec justesse, lui, le centre des attentions, catalyseur d’un casting, entraînant dans son sillage Michel Vuillermoz et Daphné Patakia, excellents. Voilà une bonne manière de démarrer 2021 gentiment, mais sûrement.