Proxima d’Alice Winocour
Après Maryland et le travail tortueux de Matthias Schoenaerts en tant que garde du corps, Alice Winocour envoie Eva Green dans une aventure spatiale pour interpréter une mère et astronaute française. Un récit déchirant de sensibilité et de réalisme.
La conquête spatiale à la place de la maternité ? Choix cornélien, presque inhumain. Sarah (Eva Green) décide de quitter la surface du globe pour une mission d’un an et d’évoluer dans un milieu constitué uniquement d’hommes. La solitude féminine oui, mais surtout un gros manque : sa fille de 8 ans, Stella (Zélie Boulant-Lemesle). Préparation harassante, la mission Proxima va mettre à rude épreuve Sarah et lui « ordonner » par la force des choses de couper le cordon ombilical pour s’investir totalement dans l’aventure avec ses compagnons astronautes : l’Américain Mike (Matt Dillon) et le Russe Anton (Aleksey Fateev). C’est le père Thoma (Lars Eidinger), séparé de Sarah, qui va s’occuper de la petite, encadrée également par Wendy (Sandra Huller), chargée de faire l’intendante – ou le lien – avec Stella et Sarah pendant l’exercice pointilleux à Star City, centre d’entraînement russe des astronautes.
Et si Ad Astra traitait du lien rompu entre un père et son fils, Proxima en parle de manière encore plus intime, plus en retenue, sans jamais quitter la Terre. Winocour, aidée par Jean-Stéphane Bron au scénario, développe une relation comme première intention, avant de déclencher le combat très introspectif de Sarah. Il y a de la subtilité, un chemin intérieur jonché de bribes de souvenirs, de résidus maternels. Si proche de la posture du documentaire et d’une vérité terrassante pour les femmes souhaitant faire carrière : sacrifier une partie de leur rôle de mère pour réussir dans leur activité professionnelle. Alice Winocour frappe juste et propose un oeuvre pleine de justesse, surfant entre les regrets et l’ambition.
Eva Green est excellente dans ce rôle de femme tiraillée, faisant fi des remarques masculines, terrifiée par la peur de tergiverser, s’opposant à ses émotions de mère. Touchée mais pas coulée. Winocour en fait un manifeste féministe, tout en retenue, précis et pur. Proxima, ce lien invisible et fort entre une mère et sa fille, dans l’antichambre d’une future mission spatiale. Allant jusqu’à transgresser les règles pour une promesse faite, Sarah lutte contre sa culpabilité, mais s’érige comme une femme d’exception. L’immersion vaut le détour.
À couteaux tirés de Rian Johnson
Comme un air d’Agatha Christie croisé avec Alfred Hitchcock. Alors oui, les comparaisons sont très faciles, mais À couteaux tirés tend vers l’hommage. Un hommage si bien exécuté et si divertissant.
Cette fois-ci, nous découvrons rapidement l’identité du tueur. Mais comme toute enquête digne de ce nom, Rian Johnson nous concocte une vérité à double sens, à double fond. Famille riche à souhait avec, à sa tête, le patriarche, la figure familiale des Drysdale prénommé Harlan Thrombey (Christopher Plummer), célèbre auteur de polars. Le soir de ses 85 ans, il est retrouvé mort, la gorge tranchée. Mais qui a bien pu osé ?
Construisant son histoire sur un rythme agréable, parfois effréné, Johnson s’amuse à tournoyer entre ses différents personnages, aux multiples entourloupes, s’enfermant dans les non-dits, dans une valse de petits secrets qui en renferment un gros. Mais alors, qui est le détonateur ? Après l’incipit, après les premières questions du Lieutenant Elliott (Lakeith Stanfield), débarque Benoît Blanc (Daniel Craig), le Hercule Poirot pensé par Johnson. Un temps en retrait, il devient la tête chercheuse. Aussi, nos attentions – comme Johnson nous amène vite à elles – se portent sur l’infirmière du défunt écrivain : Marta Cabrera (Ana de Armas). Car un lien se formera entre elle et sa famille « d’adoption », qui entraînera une belle empoignade. De Walt (Michael Shannon), le fils qui gère l’empire éditorial, à sa soeur Linda (Jamie Lee Curtis) mariée à Richard (Don Johnson), élément volage dans cette affaire, À couteaux tirés devient une vraie enfilade de caractères et d’intentions.
Casting royal pour un scénario joliment ficelé, plaisant par sa fougue et pour ce quelque chose qui dresse chacun des personnages comme des suspects potentiels, l’alliage ne manque pas de faire des étincelles. Même Harlan ne semble pas être tout à fait blanc – vous apprécierez le petit jeu de mots – dans cette histoire. Surtout, Johnson fait souffler un vent contemporain dans cette histoire, tout bonnement sardonique quand la famille évoque l’infirmière immigrée (Ana de Armas) venue d’Équateur, euh non… d’Uruguay, ah non du Paraguay ! Bref, qu’importe ! Elle est étrangère. Une petite pique vénéneuse.
À couteaux tirés, où riment dignité et affabulations, le divertissement en vaut la chandelle. De sa posture « thrilleresque » s’en détache une posture théâtrale, une comédie « whodunit » parfaitement fluide. Le portrait d’une famille dysfonctionnelle et ses secrets sous le tapis que Rian Johnson demande, à l’aide d’une vidéo en préambule et face caméra, de garder religieusement pour soi. Car twist final il y a et divulgâcher la surprise ne serait pas fair-play. Surtout que les rebondissements sont si nombreux qu’il serait si dommage de saboter le bouquet final.