« Lighthouse », ou encore « Je te laisserai des mots » sont des titres qui ont lancé la carrière de Patrick Watson, musicien à la voix douce et mélancolique. Son répertoire, dans lequel de nombreuses séries et films ont pioché, s’étoffe avec Wave, nouvel opus en ligne depuis le 18 octobre. Un tout nouvel album après un tumulte personnel, le Québécois prend la vague pour enfin la surfer à l’aide de mélodies toujours plus belles, plus émouvantes. Un album qu’il dévoilera le 4 mars prochain à Lausanne, au Théâtre de l’Octogone en partenariat avec Les Docks.
Attrapé au téléphone pour un entretien sur les coups de 17h15, un mercredi, Patrick Watson répond d’une voix enjouée, nous expliquant les causes de son léger retard – l’entretien était prévu à 17h. Une séance photo qui a pris plus de temps que prévu. L’accent chaleureux de la Belle Province en prime, l’artiste canadien s’explique sur la complexité de l’écriture d’une chanson en français en passant par les différentes couches de la tristesse. Entretien.
Je vous ai découvert à travers 2 films : Yves Saint Laurent de Jalil Lespert et Every Thing Will Be Fine de Wim Wenders. Depuis là, depuis ces 5 années écoulées, qu’est-ce qui a changé dans votre vie d’artiste, votre vie personnelle ?
Il y a eu des gros changements. Dans une carrière musicale, tu passes beaucoup de temps sur les routes, tu voyages et ça engendre bien sûr des sacrifices personnels. En même temps, tu rencontres du monde partout, tu vis des choses uniques. Après 15-20 ans de tournée, c’est sûr que ça te change. Après est-ce que j’ai changé d’un point de vue personnel, même artistiquement ? Pas tant que ça. La façon dont je fais de la musique n’a pas changé. Par contre, en vieillissant, les paroles deviennent tellement plus importantes, t’as plus de choses à dire. Tu dois sortir une boule de feu au fond de toi, un besoin irrémédiable de tout étaler. Il y a une réelle différence pour chercher les chansons à présent.
Dans une interview parue récemment, vous disiez que votre nouvel album Wave était un opus plus introspectif, qui fait la part belle aux paroles. C’est vos dernières expériences qui vous pousse à plus parler, plus écrire ?
Avant mes paroles étaient plus abstraites. Ça fonctionnait plus avec des images. Cet album, Wave, c’est moins de l’image, mais plus du « what is going on » (ndlr : il mixe l’anglais et le français). C’est comme John Lennon et son morceau « Jealous Guy » : des paroles simples, sans un vrai fil conducteur, qui résonnent et sont fortes à écouter. C’est un album plus sobre, plus direct. Je ne pense pas que c’est un opus introspectif. Je suis honnête avec la situation actuelle, avec ma situation. Avant… ma musique était plus une fuite. Là, on ne s’enfuit pas, on fait face.
Peut-on parler d’une renaissance artistique ?
Je ne pense pas que c’est une renaissance. J’ai vécu des situations compliquées dans ma vie. On me répète souvent que quand tout va mal on écrit de meilleures chansons. Je ne suis pas totalement d’accord, tu n’écris pas quand t’es au plus mal, quand t’es au plus bas de la situation. En fait, tu commences à écrire au moment où tu es en paix. En général, je commence à écrire quand je suis dans une « very good place » et non dans une « very bad place ». C’est sûr que tu écris des choses quand t’es mal, mais c’est pas utilisable. T’es pas dans le bon esprit pour partager un morceau. Alors oui, quand t’es triste ça va te donner des allants, c’est vrai, mais durant mes 20 ans de carrière j’ai toujours écrit. Je ne dois pas attendre que quelqu’un soit mort pour écrire une chanson (rires). J’avais pensé à une autre façon d’écrire les chansons avant mes problèmes personnels. Par exemple, j’ai commencé à écrire « Here Comes the River » il y a 5 ans. J’avais pas fini la pièce parce qu’il me manquait quelque chose. On dit qu’il faut 2-3 ans pour que certaines tristesses puissent partir. Et la seule façon, c’est de la laisser prendre la place dont elle a besoin. « Here Comes the River » a été écrit dans un état normal et également dans un état de profonde peine.
C’est pour ça que vous avez mis autant de temps pour confectionner cet album. Citons quand même que « Broken » a été publié en 2017. « Wave » est sorti le 18 octobre 2019. Un gros laps de temps entre ce morceau et l’album fini. Diriez-vous qu’il fallait que vous retrouviez vos esprits avant de terminer l’album ?
Je ne voulais pas d’un disque mélancolique. Je voulais d’un album varié. Si on prend « Turn out the Lights », c’est plus une célébration qu’une chanson mélancolique. Dans la vie, c’est normal que de mauvaises choses nous arrivent. Dans mes textes, sur cet album, il n’y a pas de victimisation. La vie c’est la vie. Tu te retrouves au milieu de l’océan, dans de grosses vagues et si tu commences à nager au mauvais moment, tu vas te noyer. Il y a d’autres moments où tu dois te laisser emporter, laisser la vie faire ce qu’elle doit faire. Après ça, tu vas nager dans la bonne direction. Ce disque est empli d’espoir. Il n’y pas de paroles qui disent que tout va mal.
Vous croyez au destin ?
Je crois en la vie. Il se passe des choses dans la vie. On passe de bons moment et de moins bons. (Il marque un temps, il réfléchit, sa voix devient plus intense) Il y a une différence entre la tristesse et la grosse tristesse. J’ai pas perdu d’enfant et je n’ai pas vécu d’événement traumatique, celui qui t’entraîne dans une tristesse noire. La vie que j’avais avant ne marchait plus (ndlr : la séparation avec sa compagne et la mère de ses enfants) et il faut y faire face. Alors oui, c’est triste mais ce n’est pas la fin du monde. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas, tu ne peux rien faire contre. C’est une tristesse à l’image d’un chapitre obligatoire dans ta vie. Tu dois y passer. Tu n’es pas mourant, tu n’as pas de cancer. Il y a une grande différence dans ce genre de tristesse. « You have to fix it » et c’est comme ça que tu remontes la pente, « You know what I mean » ?
Vous mélangez beaucoup le français et l’anglais et ça me permet de rebondir là-dessus. L’un de vos derniers morceaux en langue française remonte à loin, en 2010, avec le sublime « Je te laisserai des mots ». Vous avez fait un duo avec Safia Nolin dernièrement – en 2018 -, avec le titre « Mélancolie ». Mais aucun titre francophone dans votre nouvel album. Vous sentez-vous plus proche de l’anglais que du français ?
J’ai écrit 3 chansons en français pour cet album. Mais j’en étais pas fier. Pour dire, le français est un langage très raffiné, vous devez prendre beaucoup de temps pour évoquer une émotion alors qu’en anglais vous pouvez le faire en 3 mots. Je suis plus guidé par l’anglais, pour sa facilité à le chanter. Il faut vraiment trouver la bonne balance entre la chanson et le texte, en français. Le québécois est très difficile à allier, mais quand c’est bien assemblé, ça donne des chefs-d’oeuvre. Par exemple Fred Fortin, au niveau de la parole, je trouve ça génial. Sa façon d’user du langage, c’est très glauque mais très intelligent. Il y a encore Robert Charlebois et Jean Leloup qui font de véritables chefs-d’œuvre.
Mais ces 3 chansons ne vont pas rester dans un tiroir. Vous allez les sortir ?
Je vais les repenser. Je cherche ma façon d’écrire en français, une bien à moi. Une des pièces était intéressante, mais il faudra attendre l’année prochaine pour l’écouter.
Vous faites partie d’une génération très talentueuse au Québec. Comment expliquez-vous ce foisonnement culturel et artistique depuis plusieurs années, qui réussit à traverser les frontières et même de s’imposer dans l’art international ?
Il y a des choses très pertinentes pour comprendre cette trajectoire. Je vais surtout parler de la scène montréalaise. C’est beaucoup plus mélangé à présent, anglophone et francophone. C’est important de savoir que dans les années 2000, il y avait un gros business musical en Amérique du nord. Le Québec c’est une petite place et on a construit notre propre petit univers. Chaque artiste montréalais par exemple est très différent l’un de l’autre. Les artistes anglophones, à un moment, n’avaient pas de plan, ni de label. Alors on faisait notre musique dans notre coin, tout le monde explorait la musique de différentes façons. C’est pour ça que chaque artiste est très différent de l’un de l’autre à Montréal. Les jeunes artistes qui débarquent n’ont pas connu cette transition. Il fallait percer le mur. Je donne un exemple : Casa Del Popolo (ndlr : un bar à Montréal) a invité 15 artistes des 4 coins du globe, avec uniquement des premières parties montréalaises. C’est ça l’une des raisons de l’évolution de la scène montréalaise sur le plan international. On a pu percer le mur une bonne fois pour toute. C’est une des raisons parmi d’autres. C’est comme Paléo pour vous, les Suisses. C’est très important d’aller à la rencontre d’artistes internationaux.