Mank : un talent génial aux paroles acides

David Fincher, pour son 11ème long métrage, continue sous pavillon Netflix pour dévoiler l’un des excellents films de 2020, se profilant comme le grand favori des Oscars. Une lettre d’amour en noir et blanc, et acide, à un scénariste aux penchants autodestructeurs. 

La carcasse lasse et flasque de Gary Oldman étalée sur un lit à Victorville en Californie, en 1940 ; voici l’ouverture d’un récit qui va sonder le processus créatif de l’un des scénarios les plus populaires du cinéma : Citizen Kane. Un petit carton de présentation nous explique que le prodige Orson Welles (Peter Burke), 25 ans, a reçu carte blanche de RKO Pictures pour torcher son premier film. C’est là qu’intervient Herman J. Mankiewicz (Gary Oldman), scénariste de génie, alcoolique invétéré, joueur compulsif, appelé à boucler ce script en 90 jours, enfin en 60 jours après un rappel sec de Welles himself. 

Photo copyright : Netflix

Emprisonné dans une prison dorée, la jambe dans le plâtre – après un accident de la route -, Mank se sait sous surveillance : une gardienne appelée Fraulein Freda (Monika Grossman), une dactylo Rita Alexander (Lily Collins) et John Houseman (Sam Troughton), un acteur et producteur dont la tâche est de canaliser Mank. Le film est une cacophonie que le simple scénariste qu’il est décide de transpercer par sa verve et sa franchise singulière. La Grande Dépression paralyse le pays, alors que l’âge d’or du cinéma s’amorce ; un immense théâtre à ciel ouvert disait William Randolph Hearst (Charles Dance), celui qui inspirera Charles Foster Kane. 

La prose géniale et le phraser acéré – tenir sa langue tient de l’exploit -, Mank n’hésite jamais à mettre son grain de sel. Son passé de critique, de journaliste et d’auteur l’envoie chez Paramount, un premier contact avec le showbiz. Un premier pas dans la grande arène du 7ème art, l’amenant à côtoyer les grands boss de la branche, surtout l’un d’eux : Louis Mayer, grand manitou de la MGM. 

Orson Welles méritait-il les lauriers ?

Mank, ayant accepté de travailler le scénario de « Citizen Kane » sans être mentionné au générique, décide tout de même d’obtenir cette reconnaissance publique. Lui qui se taxait de rat – et surtout fait comme un rat -, offre au cinéma l’un des plus grands scénarios de tous les temps. C’est autour de ce grand piège symbolique que la pellicule fonctionne grâce à de nombreux flash-back, pour enfin brosser le portrait d’un héros tragique dans un récit si dense qu’il faudrait plusieurs lectures pour tout intégrer. Fincher, surtout, en fait une lettre d’amour au cinéma, alors que sa figure centrale plie sous les manigances politiques – durant la grande Dépression – des grands magnats des studios. Mais encore plus fort, plus haut, il est surtout question de savoir, ou plutôt de redorer le blason d’un scénariste d’exception, pour ainsi poser cette question : Orson Welles méritait-il les lauriers ? Fincher fils et Fincher père – le paternel est à l’origine du scénario – continue de prolonger le mythe « Kane », tout en se rangeant derrière le génie de Mank. 

Photo copyright : © Netflix / Nikolai Loveikis.

Réhabiliter Herman J. Mankiewicz, mais pas seulement. À cela, les nombreux échanges souvent musclés, une esthétique éclatante. Mank est un éloge au personnage, au cinéma, tant par sa mécanique narrative que par sa bande-son mystérieuse et parfois menaçante signée Trent Reznor et Atticus Ross. De l’autorité glaciale aux manipulations crasses d’un Hearst tout en contrôle, exerçant une (autre) forme d’autorité carrément sadique, Mankiewicz se retrouve enfermé dans un étau hermétique. Ses liens d’amitié avec Marion Davies, campée par une Amanda Seyfried remarquable, sont une sorte d’échappatoire face à cette souricière hollywoodienne. David Fincher, plaquant comme à son habitude une oeuvre impeccable, s’effondre derrière la performance en roue libre de Gary Oldman, aviné, le visage blême. Les effluves d’alcool se mêlant à l’esprit brillant et critique de Mank, voici la mixture qui a donné vie à une histoire légendaire à la chronologie désarticulée – dans le script -, à l’instar de son auteur. Sombre et entravé par la boisson, la controverse pour berceau de création, avec un soupçon d’autodestruction, Mank a pondu, comme tout le monde le sait, le « plus grand film de tous les temps ».

Casting : Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins, Charles Dance, Tom Pelphrey, Arliss Howard, Joseph Cross, Tuppence Middleton

Fiche technique : Réalisé par : David Fincher / Date de sortie : 4 décembre 2020 / Durée : 2h12 / Scénario : Jack Fincher / Musique : Trent Reznor et Atticus Ross / Plateforme : Netflix