Fort du succès d’ « Euphoria », série HBO adaptée d’un programme israélien, Sam Levinson, fils de Barry, revient avec un long métrage pour nous conter l’histoire en noir et blanc d’un couple dans tout ce qu’il a de beau, de laid, de doux et de violent à la fois. Sorti il y a un mois, le métrage a fait couler beaucoup d’encre depuis, divise les critiques, mettant son réalisateur au pilori.
Vous allez adorer ou détester, mais « Malcolm et Marie » ne va en tous cas pas vous laisser de marbre. Qu’on le trouve d’un ennui abyssal ou passionnant à souhait, le dernier-né de la plume de Sam Levinson suscite autant de sentiments partagés que de critiques opposées : inauthentique et poseur pour certains, profond et magistral pour d’autres, le film divise, fait parler et c’est tant mieux. On lui reconnaît volontiers des références au cinéma de Cassavetes, des airs de la nouvelle vague ou encore des penchants pour « Qui a peur de Virginia Woolf », mais la vérité c’est qu’en se lançant dans l’écriture de ce scénario et en traitant son sujet de telle manière, Sam Levinson a pris des risques.
« Malcolm et Marie » c’est l’histoire de ce couple : il est réalisateur, elle est sa petite amie. Ce soir-là, ils rentrent de la première du film de Malcolm. Galvanisé par la projection et les premiers retours dithyrambiques, ce dernier pense que son oeuvre lui apportera les éloges des critiques. Mais alors que la soirée devait être une célébration, les choses prennent une tournure inattendue lorsque Marie, visiblement contrariée, confesse à Malcolm la source de son agacement : il ne l’a pas remerciée lors de son discours. De là, les critiques fusent et l’heure est au règlement de comptes. Les deux amants se déchirent et se rabibochent, se crachent insultes et vérités refoulées. Parce que si le film de Malcolm est un succès, le cinéaste le doit en grande partie à Marie, c’est en tous cas ce que cette dernière affirme. Largement inspiré du vécu de la jeune femme, le film raconte le parcours d’une jeune toxicomane vers le sevrage. Marie accuse Malcolm de s’être servi de sa propre histoire dans le but d’en extraire le matériel pour son métrage. Malcolm, de son côté, nie en bloc arguant que ce n’est pas une personne mais plusieurs qui l’ont inspiré pour écrire son récit. Chacun campe sur ses positions. Entre cris et larmes, baisers fougueux et mots affectueux, les deux amants jouent cartes sur table, mais n’en ressortent pas indemnes.
Il avait fait l’unanimité avec « Euphoria« , série évènement qui avait propulsé son actrice principale, Zendaya, dans la sphère très fermée des actrices à suivre de près en lui faisant remporter un Emmy en 2020, Sam Levinson remet le couvert avec « Malcolm et Marie », film intimiste sur un couple et ses dérives, qui ne fait pas que des convaincus. Alors que la production de la deuxième saison d’ « Euphoria » a été stoppée en raison de la crise sanitaire, Levinson et sa désormais actrice fétiche se lancent un défi : écrire et réaliser un film dans ce contexte sanitaire chaotique. Qu’à cela ne tienne, Levinson revient vers Zendaya et John David Washington, tous deux producteurs du projet, avec un script sur-mesure. Bébé de la pandémie, premier long métrage à avoir été intégralement écrit, réalisé et produit durant la crise sanitaire, « Malcolm et Marie » est aussi minimaliste que l’a été sa réalisation. Tourné en 35 mm, de nuit et en deux semaines, tout ça dans le plus grand secret durant l’été 2020 à la Caterpillar House à Carmel, le film a contraint son équipe de tournage à suivre des règles sanitaires drastiques telles que des quarantaines ou encore une limitation à douze personnes maximum sur le plateau.

Le résultat ? Une fresque captivante et épurée d’un couple qui s’aime et se déchire. Parler d’un couple et ses déboires, le 7ème art a probablement fait le tour de la question. Intarissable, le sujet ne cesse pourtant de passionner. Sam Levinson se l’accapare, le lave de toutes ses fioritures et l’expose à sa caméra dans le plus simple appareil, livrant ainsi un film d’un autre genre dans un noir et blanc aux multiples nuances. Plongé dans l’intimité de ces deux personnages, le spectateur se voit tantôt les observer de l’extérieur, tantôt être au plus près des corps et visages. Film verbeux avec ses longueurs et fulgurances, ses moments maladroits et ses silences, ses inspirations profondes et ses sursauts, « Malcolm et Marie » emmène l’audience dans un huis clos confidentiel mais jamais voyeuriste, où le réalisateur dénude une relation de ses couches pour en trouver l’essence.
Et Levinson ne se contente pas de parler des déboires du couple, il profite de jeter un oeil critique sur la société contemporaine en balançant sur la table des thématiques diverses : fallait-il oser en ces temps de Black Lives Matter et de sous-représentation des minorités dans le 7ème art mettre ses mots de scénariste blanc dans la bouche d’un personnage parlant de sa condition de réalisateur noir ? Fallait-il oser épingler l’industrie du cinéma en la ramenant à ce qu’elle a de plus pathétique ? Fallait-il encore oser critiquer le gotha de la critique cinéma alors que c’est à celle-là même que revient la tâche de faire ou défaire la réputation d’un film ? Fallait-il aussi avoir le culot de prendre pour cible une femme journaliste – attaque à moitié déguisée, dit-on, envers une journaliste ayant descendu « Assassination Nation », avant-dernier film de Levinson – et la traiter de parfaite imbécile et ignorante en ces temps de luttes féministes ? Enfin, n’en déplaise aux élites intellectuelles, fallait-il se risquer à avouer que derrière un film, il n’y a parfois que la volonté de son réalisateur de raconter une histoire sans aucune intention politique ? Gros scoop : et si le cinéma n’avait pas toujours de message à faire passer ? Je vous laisse matière à réflexion.
Sam Levinson a osé et tant mieux. À travers les incartades de Malcolm et Marie, le réalisateur ratisse toute une série de sujets brûlants et pose certaines questions qui font écho à l’actualité, faisant du politiquement correct sa petite affaire, pour un des films les plus esthétiques de ces deux dernières années. De monologues exaltés aux silences maladroits, les très charismatiques Zendaya et Jonh David Washington sont la sensualité incarnée. Tantôt hilares, frustrés, colériques ou abattus, les protagonistes nous larguent dans un ascenseur émotionnel dont le spectateur mettra un temps avant de débarquer. Les deux comédiens peuvent se targuer d’avoir réussi à construire une alchimie unique et livré leur meilleure performance à ce jour.
Casting : Zendaya, John David Washington
Fiche technique : Réalisé par : Sam Levinson / Écrit par : Sam Levinson / Genre : drame, romance / Durée : 1h46 / Sortie : 5 février 2021 / Plateforme : Netflix