L’un des très bons films de cette sélection locarnaise, La Fille au Bracelet débarquera en février 2020 dans les salles romandes. Nous avons rencontré Stéphane Demoustier et Anaïs Demoustier pour en parler.
Tiré du scénario d’Acusada, un film argentin, présenté à Venise en 2018 et sorti dans les salles en juillet 2019, La Fille au Bracelet s’en inspire librement pour en extraire une chronique familiale sèche sur l’impact d’un tel événement dans une tribu. La dimension intimiste y est habilement explorée. Pour son second long-métrage, Stéphane Demoustier (42 ans) fait étalage d’un cinéma pudique, tout en retenue, chirurgical quand il s’agit de presser le bouton émotion.
Autre spécificité, La Fille au Bracelet regroupe frère et soeur sur le même plateau. Alors pourquoi ne pas les confronter pour les faire débattre autour du film. Interview.
C’est votre première interview groupée, frère et soeur ?
Anaïs Demoustier : On a eu la conférence de presse ce matin, mais hormis ça, c’est notre première interview ensemble. Vous êtes notre baptême du feu.
Stéphane Demoustier : En binôme jamais.
Comment êtes-vous tombé sur ce scénario de Acusada ?
SD : C’est le producteur qui m’a parlé de ce script. En fait le producteur français du film (ndlr : Jean Des Forêts) était le co-producteur du film argentin. Il avait accès au scénario et il m’a contacté, alors que je ne le connaissais pas, et m’a dit que l’histoire pouvait être vue sous un autre angle que l’’oeuvre argentine. C’était une situation inhabituelle pour moi. Après lecture, le scénario m’a plu et j’ai demandé à réaliser le film d’une différente manière : sur ceux qui entourent l’accusée et non de centrer sur l’accusée.
La Fille au Bracelet est un peu dans la continuité de Terre Battue, votre premier long-métrage ?
SD : Je ne sais pas. Bien sûr que oui il y a des comparaisons et des ressemblances. Les thématiques de la famille, de la filiation. Quelque chose doit me travailler autour de ces thématiques, c’est indéniable.
C’est votre passé familial qui remonte ?
SD : Je suis l’aîné. J’ai 3 petites soeurs. On peut se considérer comme 2 binômes dans la famille. J’ai une soeur qui a une année de moins et les 2 autres 8 et 10 ans de moins que moi.
Avez-vous commencé le cinéma grâce à votre frère ?
AD : (En s’adressant à son frère) Je ne me souviens plus si j’avais déjà tourné avec Michael Haneke (ndlr : Le Temps du loup, sorti en 2003) avant que tu ne rentres à la Femis.
SD : Bah oui !
AD : En fait non. J’ai pris des cours de théâtre quand j’étais petite, à côté de Lille, là où j’ai grandi. Et un directeur de casting était passé à mes cours pour embaucher des enfants pour un film. J’ai fait ce film dans lequel j’avais une seule scène et l’expérience était vraiment concluante. Le directeur de casting a même encouragé mes parents à me faire persévérer dans ce milieu. Et à 13 ans j’ai tourné Le Temps du loup. C’est le film qui m’a fait comprendre que je voulais être actrice.
SD : À l’époque je ne travaillais pas du tout dans le cinéma…
AD : … Stéphane a participé à mon éducation à l’image. Il m’a fait aimer le cinéma, m’a montré des films avec de jeunes actrices. Je me rappelle avoir vu La Petite voleuse et L’Effrontée, qui sont des films avec Charlotte Gainsbourg jeune. Il y a eu un vrai processus d’identification avec Charlotte Gainsbourg, très fort. Je me disais : elle a l’air de s’amuser, d’être libre, de pouvoir s’exprimer.
SD : Mon rôle a été de faire comprendre à mes parents que tourner avec Michael Haneke était une chance inouïe.
Stéphane a participé à mon éducation à l’image
AD : Alors oui, il y a eu une période très critique avant d’aller au casting de Michael Haneke. Il fallait chaque fois faire les trajets pour aller à Paris et je ne voulais pas faire les casting. En fait je voulais être présente pour un devoir de maths, car j’étais très bonne élève et je n’avais pas du tout le goût du risque. Quand Stéphane a su que c’était Haneke, que mes parents, ne connaissant pas trop le cinéma, ne savaient pas trop quoi dire, il s’est empressé de mettre la pression pour que j’y aille, devoir de maths ou pas. Un moment déterminant que je dois beaucoup à Stéphane. J’ai aussi le souvenir qu’il m’a montré L’Enfer de Claude Chabrol, avec Emmanuelle Béart. Un souvenir très important aussi.
La famille Demoustier est loin d’être une famille de cinéphiles ?
AD : Notre mère vient de plus en plus. Elle a découvert le cinéma grâce à nous. Elle voit énormément de films à présent. Je lui fais d’ailleurs souvent lire mes scénarios.
SD : Quand on était enfant, on allait très peu au cinéma. C’était la télévision et aucune hiérarchie.
AD : Je regardais Sissi en boucle !
SD : Une sitcom valait autant que le film du dimanche soir chez nous.
AD : On a été élevé aux Bronzés font du ski.
Pour revenir à votre film, vous vous éloignez beaucoup du film Acusada, en optant pour un cinéma très sobre, très pudique. Vous délaissez les médias, vous misez sur l’intériorité des sentiments. Était-ce un choix délibéré ou venu par après ?
SD : Je n’aime pas les films hystériques. Par rapport à Acusada, et dès lors que j’adapte dans un contexte français, les médias n’avaient pas leur place. Les médias ne jouent pas le même rôle en France d’après moi. Et ce n’est pas ça qui m’intéressait. Ce qui me plaisait le plus dans cette histoire, c’était de travailler les relations entre les uns et les autres. Effectivement, je voulais vraiment cette intériorité de chacun. D’où cette sobriété dans les cadres. Le visage de l’accusée me suffit pour que je me plonge dedans. Il se trouve aussi que par un simple procès on crée du suspens, il n’y a pas besoin d’en rajouter, on est de toute manière tenu en haleine. Je pouvais donc me contenter d’enfermer chaque personnage dans un carcan. La caméra raconte cet engoncement.
AD : Cette mise en scène est inhérente à sa personnalité. Ce que je veux dire par là, c’est que le film est à son image : très rigoureux et très pudique.
Cette mise en scène est inhérente à sa personnalité
En parlant du procès, où les scènes ont-elles été tournées ?
SD : Au tribunal de Nantes. Je voulais un tribunal moderne, loin des boiseries qu’on peut rencontrer dans certains tribunaux. Je voulais que cette histoire soit une histoire d’aujourd’hui, la plus contemporaine possible. Aussi, je le voulais le plus sobre possible, pour qu’on s’attarde sur les visages, qu’on ne s’intéresse qu’à cette histoire et qu’on ne regarde pas les statuettes qu’on peut apercevoir dans les vieux tribunaux.
Parlons de votre travail méticuleux sur la composition des plans. Les parents sont souvent isolés, ils ne se touchent pas, ne font que s’effleurer. La caméra reste figée, suit les démarches douloureuses de chacun.
SD : C’est un miroir grossissant de cette incommunicabilité qu’il peut y avoir entre les êtres et y compris au sein d’une famille. La déflagration qu’est cette affaire fait que la famille a du mal à fonctionner et d’exister. Cette affaire contamine tout autour d’eux. Le père et la mère vivent de manière tellement différente cet événement qu’ils n’arrivent même plus à en parler. Ils n’arrivent plus à être ensemble tout court. D’où cette composition très froide, ce tribunal qui met Melissa Guers (ndlr : Lise Bataille, la jeune fille accusée) derrière une grande vitre. D’où mes plans très figés. Les personnages n’arrivent plus à se mettre en mouvement.
AD : Ils sont écrasés, pris dans un étau !
Dans votre rôle d’avocate générale, vous semblez également figée, toujours derrière votre bureau. Vous vous levez, vous vous asseyez, on ne vous voit jamais hors de votre bureau.
AD : Oui ! (avec un large sourire) Je suis raide comme la justice.
Et maintenant que vous êtes maman, est-ce que votre rapport à ce rôle plutôt rigide, en vous attaquant sans discontinuer à une jeune fille, a été complexe à camper, par rapport à avant ?
AD : Pas du tout. C’est marrant on me parle souvent de ça mais ça n’a rien changé. Ma maternité n’empiète pas sur mon métier d’actrice. Quand j’ai lu le scénario, c’est surtout le rapport aux enfants, le rapport des parents face à leurs enfants qui s’adonnent à des actes qu’ils n’auraient jamais cru possibles. Mais ce qui est plutôt intéressant avec mon rôle, je suis la plus jeune du tribunal, mais aussi la plus rétrograde. Je l’attaque sans cesse sur des questions morales.
Vous mettez très souvent les enfants au centre des débats. Dans vos deux films il en est question.
AD : C’est son troisième !
Le précédent est un moyen-métrage, il me semble.
AD : Oui, il fait 59 minutes et il s’appelle Allons enfants, qu’il a tourné avec ses propres enfants. Paul et Cléo Demoustier.
Et donc, les enfants ?
SD : Pour plusieurs raisons : l’apprentissage en fait partie, par exemple. Filmer un enfant est quelque chose de passionnant, un adolescent aussi. On capte un corps qui est en train de changer, toujours en mouvement. On filme une âme. Ça me travaille de manière inconsciente puisque je reviens tout le temps sur le sujet.
Filmer un enfant est quelque chose de passionnant, un adolescent aussi
La relation frère et soeur sur le plateau, c’est tendu ou agréable ?
SD : Ce que j’aimais bien, c’est qu’Anaïs était là pour les scènes de tribunal. Des scènes avec beaucoup de monde, beaucoup de figurants, beaucoup de caméras. Avoir quelqu’un de familier était précieux. Un tournage de ce genre génère beaucoup de pression. La présence d’Anaïs était réconfortante pour moi.
AD : Il me demandait de rester alors que j’en avais terminé avec mes scènes. C’était une expérience très agréable. On avait déjà travaillé sur un précédent projet, un court-métrage qui s’appelait des Noeuds dans la tête (ndlr : en 2011), et je me souviens avoir eu des réactions adolescentes à l’époque. C’est-à-dire que je vivais mal le fait que Stéphane me dirige. J’étais sans arrêt en contestation, je refusais son autorité, comme une ado. Je pense qu’à présent j’ai pris en expérience et j’ai grandi. J’ai pris un vrai plaisir à tourner avec. Avec Stéphane, il n’y a pas ce round d’observation qu’on a avec un autre metteur en scène. Je comprends rapidement ce qu’il veut me dire. On était dans l’échange.
Aucune peur supplémentaire parce que c’était votre frère ?
AD : Oui, mais comme chaque film. J’avais surtout peur de ne pas être assez crédible dans le rôle. J’ai toujours beaucoup de doutes avant d’aborder un rôle. J’avais les mêmes que d’habitude, avec en plus la pression de ne pas décevoir Stéphane.
SD : J’avais vraiment envie de faire un film avec elle. Je me suis autorisé à lui proposer un rôle de la sorte parce qu’elle n’avait jamais joué ça. Une femme vindicative, véhémente. Quelqu’un de très dur. J’étais intéressé de travailler avec elle ces motifs. Mais j’étais pareil, je ne voulais pas la planter, je voulais lui proposer quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
Vous disiez dans une précédente interview que vous aimiez faire imaginer le spectateur. Votre dénouement laisse place à de nombreuses théories.
SD : Je voulais que le film traite un procès d’assises sans preuve absolue. Ça va reposer sur l’intime conviction. Je souhaite que le spectateur passe par cette expérience. C’est une affaire de croyance, qu’est-ce que chacun va croire, est-elle coupable ou non ? C’est ce qui m’intéressait avec un tel sujet. Je voulais que le film questionne. Quand on a pas accès à la vérité primaire, tout repose sur la croyance. J’ai dit à Melissa de décider si elle était coupable ou pas. Le film travaille précisément ça : la croyance. Moi-même je ne veux pas savoir si elle est coupable ou pas.
Vous avez prévu de relancer une collaboration ?
SD : Si elle le veut bien.
AD : Moi aussi, j’aimerais bien.