Locarno 2018 | Entretien avec Bettina Oberli, réalisatrice de Le Vent Tourne

Le Vent Tourne est son premier film francophone. Bettina Oberli s’est associée à Antoine Jaccoud pour dépeindre la vie d’un couple perché sur sa colline jurassienne. Porté par Mélanie Thierry et Pierre Deladonchamps, le métrage fêtait sa première mondiale sur la Piazza Grande. La parole est à la réalisatrice bernoise. Entretien.

 

Vous brossez le portrait d’une femme statique, très ancrée dans ses origines, qui n’a quasiment jamais connu autre chose que sa ferme. Avez-vous voulu créer un personnage à la recherche de nouvelles choses et qui n’a peut-être pas les armes pour comprendre le monde ?

C’est une question difficile (rires). Elle est intelligente et moderne. Pauline a ses convictions et ce n’est pas une femme conservatrice, même si elle n’a jamais quitté la ferme. Je ne crois pas qu’elle doit partir loin de chez elle pour comprendre le monde. Mais dans la dimension générale, je ne sais pas. Je connais des gens qui sont partis loin et sont très ouverts, tout comme des gens qui ont préféré rester dans leur région.

Ne pensez-vous pas que nous développons un manque d’ouverture si nous n’allons pas voir du pays ? Pauline n’est-elle pas une personne triste du fait qu’elle n’a jamais découvert autre chose que sa région ?

Elle ne sait pas. Même à la fin on ne sait pas vraiment où elle va aller. C’est important de comprendre que c’est en mouvement, qu’elle va découvrir autre chose. Si elle quitte la ferme, ce n’est pas pour faire du tourisme. C’est de l’émancipation. Mais elle ne quitte pas son domicile parce que c’est la guerre à la maison. La relation de couple est saine, mais le film développe plus le côté solitaire de Pauline.

Le Vent Tourne est ancré dans l’isolement, avec ce côté drame contemporain et rural. En 2018, les gens ont envie de revenir en arrière, de renouer avec la vie de nos ancêtres, des fois. Malheureusement, il est impossible de ne pas rester relier à la technologie tant d’un point de vue administratif que social. Est-ce que vous avez eu cette envie de modeler un « couple métaphore » de notre monde actuel ?

C’est ça que j’adore dans le cinéma. J’adore les symboles filmés, mais pas stylisés. Intégrer la métaphore d’une manière très concrète, j’aime beaucoup ça. Le cinéma est le seul lieu avec lequel nous pouvons faire ça. En ce qui concerne le couple qui symbolise le monde (ndlr : elle marque un temps)… le monde est vaste. Ils sont ancrés dans le passé, mais Pauline et Alex sont aussi dans le futur. L’éolienne est aussi le futur du couple.

Intégrer la métaphore d’une manière très concrète, j’aime beaucoup ça

Mélanie Thierry a opté pour une immersion dans une ferme dans le Jura avant de tourner. Pierre Deladonchamps s’est aussi astreint à une préparation grandeur nature ?

Oui, il a fait aussi un petit stage. On a dû couper une scène où il montait à cheval. D’ailleurs, il vient d’une famille paysanne. C’est un milieu qu’il connaît bien.

Comment avez-vous tourné cette scène au Creux du Van, dans le brouillard ?



On était à la Chaux-de-Fonds dans une grande halle pour les chevaux. Un manège. On a rempli entièrement le lieu, avec un détail très important : la lumière du jour. On a pu jouer avec le toit en verre qui laissait passer cette fameuse lumière dont on avait besoin. On a dû énormément réfléchir pour trouver une alternative et on a réussi à créer assez de fumée artificielle pour donner cette impression d’un épais brouillard. On avait des masques pour tourner les scènes. Cette fumée est dégueulasse (rires).

On a cette impression que vous avez construit votre film à l’image d’un film d’atmosphère ?

Je voulais raconter une histoire simple, que leur relation soit rapidement comprise. Tout le monde connaît les histoires d’amour et les sentiments. Et grâce à cette structure rapide, j’avais la place pour construire un film d’atmosphère et aussi un récit qui pousse à la réflexion. Je n’amène pas de solution, je propose une offre pour une réflexion.

Comment avez-vous travaillé en collaboration avec votre scénariste Antoine Jaccoud ?

Je lui ai immédiatement demandé une histoire à l’image d’une fable grecque. Avec des éléments forts, avec la mort, la complexité de la nature et des émotions qui sont plus fortes que la raison. Il m’a rapidement dit qu’il fallait une couche contemporaine, sinon ça pouvait tomber dans le ringard. Ensuite, j’ai continué l’écriture en compagnie de Céline Sciamma. Même au montage, elle était très présente.

Dernière question, le poster de Sens Unik était voulu ? Un clin d’oeil ?

Oui, c’est tout juste. Bien vu! (rires)

Le Vent Tourne, le 26 septembre dans les salles.