Jordan Peele : le nouveau Hitchcock ou digne héritier de Rod Serling ?

Jordan Peele ne s’arrête plus depuis Get Out. La moitié du duo comique Key & Peele enchaîne les projets et apparaît comme un auteur capable d’intégrer politique et subtilité sans paraître excessif, optant pour le divertissement et la nécessité de certains questionnements.

2017, l’avénement d’un cinéaste et scénariste ? C’est peut-être le cas de Jordan Peele, avec son film au succès planétaire Get Out. Et ça semble si loin, comme évanescent dans l’imaginaire collectif tant il n’a pas arrêté de produire, écrire et réaliser pléthore de projets. Peele aurait-il pris la place de James Franco, l’hyperactif hollywoodien ? À la différence de Franco, Peele ne s’est pas éparpillé et s’est évertué à livrer une marchandise audacieuse.

« J’ai tellement d’histoires que je veux raconter »

Hormis Get Out, la « machine » Peele n’a cessé de fonctionner à plein régime : Us, Weird City, The Last O.G., le remake de Twillight Zone, ou encore Hunters et BlacKkKlansman avec la casquette de producteur, la frénésie créative du New-yorkais mise sur le comique et l’horrifique afin de délivrer un commentaire social savamment ficelé. Sa grande force : accentuer le trait d’un aspect réel pour en extraire sa face la plus cauchemardesque. Par exemple : Us mise sur la dualité de notre âme, convoquant son côté le plus sombre.

Malin, superposant plusieurs couches, Jordan Peele s’attaque à la contextualisation du monde actuel, aux tropes sociétaux. La peur de l’autre incarnée par les doubles « sombres » dans Us, ou la fameuse scène « The Sunken Place » durant laquelle les noirs voient leur corps pris en otage par de riches blancs dans Get Out ; dans son expression et sa mise en place, l’oeuvre de Peele développe et crée un miroir de notre société avec plus ou moins d’intelligence. « J’ai tellement d’histoires que je veux raconter », disait-il au magazine Rolling Stone. Tant de récits à modeler, tant d’histoires où le mal se cache juste là, à la surface, dans un environnement banal.

Des relents de Rod Serling, légendaire créateur de Twillight Zone, si important à l’évolution (artistique) de Jordan Peele. Revisiter le passé pour enfin le remettre au goût du jour, revivre l’hystérie de l’après-guerre froide comme l’a fait Serling, pour coller subtilement aux fractures sociales des années 2000 en ce qui concerne Peele.

Lovecraft Country comme nouvelle monture

Le passé comme (nouveau) terrain de jeu. En co-créant la série Lovecraft Country avec Misha Green, tirée du roman de Matt Ruff, Peele repart à la conquête de l’horreur dans l’Amérique raciste des années 50. Un road trip sur les traces d’un père disparu, mais surtout de monstres fantastiques et réels. Une nouvelle fois, même si l’intrigue semble éloignée de la réalité, la résonance avec notre époque se confronte à des monstres venus d’ailleurs. « Un Martien peut dire des choses qu’un républicain ou un démocrate ne peuvent pas » expliquait Serling. Et Peele, dont, soit dit en passant, l’épisode « Miror Image » est sa principale source d’inspiration pour Us, de s’en accommoder, d’user d’un registre qui lui permet de faire passer un message par le prisme du surnaturel. Habile ou pas, le 17 août nous le dira.

Présenté comme le nouveau Hitchcock, Peele a tout d’un nouvel auteur, digne (héritier ?) de Rod Serling. Résistant à la facilité, son mérite lui vient de cette faculté à conjuguer le film (ou série) dit populaire, tout en mettant en exergue le récit imprégné de politique, tout en s’adressant à une plus lare partie du public. En conceptualisant notre époque et notre société, Peele brosse un portrait d’un monde qui ressemble à une vaste fosse aux monstres.