En adaptant le livre de Sara Gay Forden, Ridley Scott met un pied dans une bible de la mode. La famille Gucci et leur marque de luxe, ce fleuron mondain qui en fait rêver plus d’un. Une destinée dorée transformée en tragique. Et cette spirale infernale est attribuée à une étrangère, plus modeste, apparue dans la vie de Maurizio Gucci : Patrizia Reggiani.
Rodolfo Gucci (Jeremy Irons) accueille la chère et tendre de son seul fils, un jour, dans sa demeure, en lui montrant le chef-d’œuvre de Gustav Klimt : le portrait d’Adele Bloch-Bauer. Patrizia Reggiani, secrétaire dans l’entreprise de transport du paternel, pense à un Picasso. Rodolfo lui rendra un sourire gêné, alors que Maurizio reste de marbre, aveuglé par l’amour qu’il lui porte. Cette simple séquence est symptomatique du décalage, du fossé de classes dont Patrizia n’aura cure. Au fond d’elle, elle voit une occasion de grimper l’échelle sociale.
« House of Gucci » tourne autour de ce désir ardent d’une femme taxée d’arriviste machiavélique, animée par le pouvoir, l’argent, ou d’être tout simplement une Gucci. Maurizio a laissé entrer le loup dans la bergerie, et la bête est prête à faire un carnage. Patrizia, la bague au doigt, va pousser Maurizio à s’installer à New York pour s’investir dans l’affaire familiale et mettre définitivement les pieds dans l’empire. Et chez Gucci, la famille compte avant tout. Aldo Gucci (Al Pacino) l’accueille à bras ouverts, bien décidé à maintenir le navire à flot grâce aux mains familiales. C’est la première pierre posée par Patrizia, heureuse de se lover dans la richesse. Mais ses désirs de gloire et d’argent vont se retourner contre elle : Maurizio va se métamorphoser en homme intraitable.
Adam Driver, toujours plus fort, toujours plus subtil
Ses grandes lunettes sur le nez, Adam Driver se donne une allure naïve de grand candide avant d’évoluer en monstre intraitable. Terriblement bien filmé, excellemment interprété par Driver, Maurizio va provoquer le séisme familial, dans tous les sens. Si Reggiani a mélangé le puzzle et semé la zizanie telle une Lady Macbeth, disposant les pièces pour le composer à sa guise, Maurizio, lui, s’est fait un plaisir à le défaire. L’inversion des rôles, l’élève dépassant le maître – ou la maîtresse -, et voilà que tout se chamboule, tout part à vau-l’eau.
Des moments-clés et un léger manque d’extravagance
La force de cette histoire tentaculaire est imprégnée de moments-clés, entre des phrases et signatures qui feront basculer ce destin. Ridley Scott a cerné ces instants, aidé par un scénario solide de Becky Johnston (scénariste de 7 ans au Tibet) et Roberto Bentivegna. Des détails, comme la vente de la totalité des droits à Maurizio par Aldo – excellent Al Pacino -, et cette phrase : « c’est bien ça que tu veux ? » adressée à son neveu, aveuglé par l’idée de tirer les ficelles en solo. Avec ce rachat, il ne fait qu’éloigner la famille. Le divorce est consommé avec Patrizia et sa famille. Une aubaine pour les acheteurs extérieurs, diviser pour mieux régner.
Un film fleuve, riche en trahisons, soigné, qui épouse la fresque shakespearienne. Des personnages timbrés – la palme à Jared Leto, en roue libre. La cupidité à son paroxysme. La toxicité de l’argent rôdant, « House of Gucci » n’est pas le chef-d’oeuvre ou le délire total désiré, manquant d’une pointe d’extravagance pour transcender le récit. Mais le métrage pousse le sujet à ses limites, fort d’une vitalité ravageuse dans ces déambulations noires, vénéneuses et teintées de méchanceté. Inégal mais parfois un régal.
Casting : Lady Gaga, Adam Driver, Al Pacino, Jared Leto, Jeremy Irons, Jack Huston, Salma Hayek, Camille Cottin.
Fiche technique : Réalisé par : Ridley Scott / Date de sortie : 24 novembre 2021 / Durée : 2h37 / Scénario : Becky Johnston, Roberto Bentivegna / Musique : Harry Gregson-Williams / Photographie : Dariusz Wolski / Distributeur suisse : Universal Pictures