Une voiture pour refuge, ou le parcours d’individus troublés vers le renouveau, « Drive My Car » raconte le deuil, ses traumas et le chemin vers l’apaisement à travers une rencontre fortuite et providentielle donnant naissance à une amitié singulière. Lauréat du Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, le dernier-né du prodigieux réalisateur japonais Ryûsuke Hamaguchi sort aujourd’hui dans les salles romandes.
Il y a deux ans, Yusuke Kafuku vivait une vie épanouie avec son épouse Oto, scénariste pour la télévision. Aujourd’hui, le comédien et metteur en scène ne parvient toujours pas à faire le deuil de sa femme décédée subitement. Pour fuir sa peine, il accepte de se rendre à Hiroshima afin de monter la pièce de théâtre de Tchekhov, « Oncle Vania », pour laquelle il va devoir diriger une troupe de comédiens multilingue. Sur place, il apprend que, pour des raisons d’assurance, il sera emmené tous les jours à son travail par une chauffeuse, une jeune femme impassible du nom de Misaki. Dans un premier temps récalcitrant, lui qui aime tant conduire et qui trouve dans sa vielle Saab rouge un refuge et des élans créatifs nécessaires à son art, Yusuke se laisse séduire par la conduite de Misaki. Au fil des kilomètres engloutis à travers les grandes artères de la cité nippone, une relation de confiance se créée entre les deux personnages que tout semble opposer. Yusuke et Misaki construisent petit à petit une amitié qui leur permettra de laisser derrière eux les démons du passé pour enfin recommencer à vivre.
« Drive My Car » est un périple, une épopée, 3 heures suspendues dans le temps. Alors oui, à l’heure où plus personne n’a le temps de rien, 3 heures c’est énorme. Mais Hamaguchi a ce don, celui d’arrêter le temps et d’ouvrir une parenthèse pour déballer un drame intimiste, une fable sur l’amour dans ses grandes lignes. Adapté de la nouvelle éponyme de Murakami, extrait du recueil « Des hommes sans femmes », et coécrit par le réalisateur et Takamasa Oe, « Drive My Car » aborde une foule de thèmes en observant tout du long l’ombre planante du deuil impossible et des fantômes du passé. L’histoire est dense : c’est d’abord celle de Yusuke, cet homme brisé par les épreuves, dont la pièce qu’il met en scène fait écho à sa propre vie. C’est ensuite celle de Miraki, cette jeune femme solitaire et énigmatique qui a appris à se faire toute petite. C’est leur histoire commune, celle d’une proximité émotionnelle improbable et du chemin conjoint vers l’acceptation. À bord de la Saab 900, à la fois un refuge, un confessionnal et un lieu qui défie toutes les règles du temps, Yusuke et Miraki apprennent à se connaître et se livrent sur leurs blessures les plus intimes et profondes avec une honnêteté percutante. Dans le véhicule rouge traçant sa route à travers les paysages tantôt urbains, côtiers et neigeux du Japon, magnifiés par une photographie d’une sobriété tout à propos, se joue leur rédemption qui construira les fondations de la vie d’après.
Hamaguchi s’empare magistralement de thématiques lourdes de sens telles que le deuil, l’amour, la culpabilité, le couple et ses dysfonctionnements, mais également l’art comme exutoire, et construit une histoire qui s’effeuille doucement pour finalement mettre à nu ses protagonistes. Jeu de contrastes et de contraires, le réalisateur illustre l’ambiguïté et la complexité des personnages avec une transparence et une justesse sidérantes. Et si pour un récit brassant autant de sujets on pouvait craindre des lourdeurs, c’est paradoxalement un sentiment de légèreté étrange, éphémère et insaisissable qui s’en libère. Soutenu par des performances d’acteurs remarquables et d’une retenue folle, à commencer par les rôles phares interprétés par Hidetoshi Nishijima et Tôko Miura, « Drive My Car » demande que l’on s’abandonne à lui, dans ses moments verbeux et dans ses silences qui en disent long, dans ses instants sombres et lumineux, dans les regards que le cinéaste japonais parvient à capter. 3 heures hors du temps.
Casting : Hidetoshi Nishijima, Tôko Miura, Reika Kirishima, Yoo-rim Park, Masaki Okada, Dae-Young Jin, Sonia Yuan, Satoko Abe.
Fiche Technique : Réalisé par : Ryûsuke Hamaguchi / Scénario : Ryûsuke Hamaguchi et Takamasa Oe / Photographie : Hidetoshi Shinomiya / Musique : Eiko Ishibashi / Durée : 179 min / Date de sortie : 22 décembre 2021 / Distributeur suisse : Sister Distribution