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Cannes 2018 | Les Oiseaux de Passage : l’équation familiale des cartels de la drogue
« N’aie pas peur, je serai à tes côtés. » C’est ainsi que s’ouvre, sur les paroles bienveillantes d’une mère à sa fille précédent un rituel villageois nommé « yonna », la Quinzaine des Réalisateurs. Les Oiseaux de Passage, film inaugural à l’histoire violente et très actuelle, celle de la naissance des cartels de la drogue.
En 1968, la famille Wayuu se retrouve au centre d’une affaire en pleine expansion : le commerce de marijuana. Les « gringos » américains sont des proies toutes faites pour les Wayuu. Au sommet de la pyramide, Rapayet (José Acosta) et son associé Moises (Jhon Narvaez) ne vont cesser de multiplier les commandes de shit et par conséquent crouler sous l’argent.
Clans familiaux, coutumes ancestrales, avidité
La chronologie de l’histoire repose sur des faits réels distillés en plusieurs chapitres, 5 pour être précis. Le début des cartels. La légende de Pablo Escobar s’est sûrement forgée grâce à ces premiers Colombiens avides. Deux familles pourtant amies et liées vont perdre tout contrôle sur leurs prétentions pécuniaires. Plus les années passent, plus la richesse s’accumule. Les maisons, les armes deviennent omniprésentes à l’écran. L’argent coule à flot, certes, mais crée les premières échauffourées, les premières disputes et les premières pertes humaines. Le premier à perdre le contrôle est Moises, l’associé de Rapayet. Sa tendance à avoir la gâchette un peu facile va à l’encontre des valeurs familiales. Un affront pour Rapayet.
Photo copyright : Diaphana
Ciro Guerra et Cristina Gallego ont trouvé un sujet à l’équation intéressante. Entre honneur familial et héritage culturel de ce coin de pays très pauvre, l’argent viendra vampiriser l’empreinte identitaire chère aux anciens d’une communauté réfractaire à voir le capitalisme faire son apparition – les premiers clients américains débinent le communisme au profit du capitalisme. Et le changement est radical : Rapayet s’est astreint d’une dot (10 vaches, 50 chèvres et des bracelets) pour pouvoir marier Zaida (Natalia Reyes). La Colombie des années 70 est encore loin des fantaisies escobariennes.
Vendetta ennuyeuse, parfois fulgurante, et symbolique
Les longues séquences de deal entre les deux clans familiaux, les premiers transferts de marchandise sur des ânes sont traités méticuleusement par le duo de cinéastes. Les discours parfois exaltés sur les règles à ne pas transgresser pour un Wayuu reviennent souvent, trop souvent. À trop faire allusion à l’oiseau de mauvais augure, Les Oiseaux de Passage sombre dans une lente description expliquant l’engrenage désastreux dans lequel s’est fourré Rapayet notamment. Son avidité lui fait perdre la boule. Entre vendetta ennuyeuse et coutumes ancestrales, le coeur de l’un des premiers boss des cartels balance. Derrières ses lunettes, chapeau vissé sur la tête, il voit l’argent le vampiriser et le prendre à la gorge. Sa folie des grandeurs le rattrape, l’isole de la réalité et de sa propre famille.
Une immersion parfois brouillonne, parfois sanglante, voire imprévisible. Le métrage fait l’élastique entre les bonnes séquences et les longueurs. Malgré les quelques fulgurances, Les Oiseaux de Passage est un récit souvent lancinant, souvent statique. L’histoire reste toutefois intéressante grâce à son sujet de base, grâce à sa réflexion sur ces peuples pauvres et rattrapés par le spectre de l’argent.
Casting : Natalia Reyes, Carmina Martinez, Jhon Narvaez, Greider Meza, José Acosta, José Vicente
Fiche technique : Réalisé par : Ciro Guerra, Cristina Gallego / Date de sortie : 19 septembre 2018 / Durée : 125 min / Scénario : Ciro Guerra, Maria Camila Arias, Jacques Toulemonde Vidal / Musique : Leonardo Heiblum / Photographie : David Gallegos / Distributeur suisse : –