Baromètre sériel #9 : 3 séries Netflix à voir ou à éviter

Les fêtes approchent et les séries continuent à fleurir. Des présents avant l’heure sous l’immense sapin du streaming. Cette fois-ci, une brochette de 3 séries sélectionnées chez nos amis de Netflix, pour le meilleur ou pour le pire. Des pirouettes de jeunes danseuses et une grande arène meurtrière dans une ville de Tokyo vidée de ses habitants, il y avait de quoi s’amuser.

Alice in Borderland

La couleur d’une carte pour indiquer le type de jeu ; enfin, faut-il préciser que le trèfle représente le combat en équipe, que le carreau est le combat de l’esprit et le cœur le jeu de la trahison. Pourquoi ces étranges cartes ? Dans Alice in Borderland, le jeu est à l’image d’un château de cartes : un seul souffle et tout s’effondre. Une grande arène regroupant des individus triés sur le volet sont parachutés dans un monde débarrassé de tous, seuls et livrés à eux-mêmes.

Et dans cette ville de Tokyo déserte, Arisu (Kento Yamazaki), notre héros spécialiste des énigmes, se lance avec sa bande d’amis dans une course effrenée pour obtenir ce visa lui permettant de survivre dans cette jungle urbaine. Des parties endiablées, où le déluge d’hémoglobine s’intensifie plus les parties s’entassent. Une vraie torture, un jeu pervers qui ne cesse d’alimenter une frénésie meurtrière particulièrement entraînante. Quand votre vie en dépend, il n’y a plus d’amitié qui fasse, les coups bas sont légion.

Alors oui, on vous voit vous frotter le menton en pensant que c’est un Saw réchauffé avec un zeste de Battle Royale. Oui, il y a bien des similitudes – rappelons que la série est tirée d’un manga -, mais toujours est-il que la mise en place et le montage des premiers épisodes amènent une réelle immersion au format ramassé et énergique, fonçant dans le survival tenu, jusqu’à l’arrivée du 3ème épisode qui perd en intensité et s’étire en longueur. Comme une respiration avant que cette rupture émotionnelle nous emmène vers d’autres sentiers inconnus.

Si l’ensemble est inégal, il demeure audacieux, nous mène de personnage en personnage dans une quête meurtrière vers les maîtres du jeu. Une utopie se plaquant sur des personnages au passé souvent tortueux. Alors qu’Alice in Borderland place ses pions pour une seconde saison, elle laisse plusieurs personnages en cours de route pour concocter une seconde levée qui vaudra son pesant d’or. On se frotte les mains cette fois-ci.

Après toi, le chaos

Le très cher créateur de la série Elite nous offre une nouvelle production qui se passe dans… un lycée, en Galice. Cette fois-ci pas de luxe, mais bien une petite ville qui respire la pauvreté. Les sources chaudes et les dettes des habitants, voilà les jalons d’une série qui se fourvoie plus nous nous enfonçons dans ce thriller mollasson.

Car Netflix, n’en déplaise à certains et certaines, n’arrive toujours pas à démouler une production de qualité made in Spain. Toujours cette même faiblesse narrative, cette trame brinquebalante et cette absence de tension. Même avec ces allusions à Agatha Christie et ces petits artifices nous promenant vers des sentiers où la mort rôde en reine, rien n’arrive à nous emprisonner dans une angoisse et surtout nous étreindre dans cette enquête menée, malgré elle, par Raquel (Inma Cuesta), une prof de littérature qui succède à une autre enseignante, Viruca (Barbara Lennie) décédée mystérieusement.

Un suicide en serait la cause, mais bien entendu, le petit patelin renferme de lourds secrets, pulsant le mal et le poison à vue d’œil. Le miroir du chaos – artistique et narratif – pour cette mélasse à la dramaturgie aussi barbante qu’un cours de maths va rapidement se briser pour laisser apparaître des failles. Le jeu de pistes orchestré par Carlos Montero souffre sans conteste de tension. Si Gaby Hull réussissait ses petites manigances avec Cheat, qu’Hannah Fidell épousait plutôt bien la toxicité entre une prof et son élève, Après toi, le chaos se perd dans ce tissu de mensonges incarné par Iago, – joué par Aron Piper, le petit chouchou de Netflix Espagne – polarisant toute l’attention et fermé comme une huître depuis le suicide de Viruca. Le méchant, ne serait-ce pas lui ?

Soit. Bien qu’on puisse apprécier ce ton sombre à quelques reprises, la grande force de la série réside dans sa maîtrise formelle de la temporalité. Jonglant entre les deux profs – la disparue et l’actuelle -, elle trouve une couche plus brute, plus convaincante. Mais à force de tirer sur la corde, d’effacer des personnages dans cette enquête en eaux troubles et bouillantes – le sang est encore chaud -, Carlos Montero nous offre une pièce bien banale.  

Tiny Pretty Things

Tour piqué en dehors, trois pas de bourrée, piqué de côté, ou encore le célèbre rond de jambe, nous voici dans le fascinant milieu du ballet. Plus précisément, dans une école réputée de Chicago, l’Archer School, que découvre Neveah (Kylie Jefferson) avec ses yeux écarquillés. Ce même lieu où un peu plus tôt, Cassie Shore (Anna Maiche) s’est faite pousser du toit. Dorénavant dans un lit d’hôpital, dans le coma, l’histoire va se cristalliser autour de cette tentative de meurtre, sans pour autant occulter la compétition féroce qui règne au sein de l’établissement.

Ces corps qui se contorsionnent et se disloquent à force de travail. La rançon de la gloire pour ces apprentis danseurs emmurés dans cette course à la perfection physique et chorégraphique. La cathédrale des corps brisés, un ballet d’âmes chagrinées pour un drame adolescent mauvais par excellence.

Si le nom de Michael MacLennan est bombardé comme créateur de la série, c’est bien Sona Charaipotra, une romancière et journaliste spécialisée dans le divertissement, passée chez Teen Vogue, et surtout ex rédactrice en cheffe pour TeenPeople, qui l’incarne. C’est elle qui a pondu le livre dont la série s’inspire.

Tiny Pretty Things nous est narrée par la voix de Cassie, pour ouvrir les portes d’un sanctuaire des peines et des maux. C’est surtout une véritable orgie et des parties de jambes en l’air à la pelle. Les chorégraphies se succèdent autant que le sexe, sans pour autant amener une vraie tension au récit, sans renverser les codes et s’employer à faire vivre l’écriture comme l’a fait Euphoria, utilisant le sexe comme un langage et non comme d’un accessoire pour assouvir des pulsions.  

Une mécanique ronflante par ses choix scénaristiques maladroits, par son obsession des corps qui s’enchevêtrent, pour n’accoucher que d’une liste (caricaturale) des traumas adolescents. Tout est si superficiel, fichtrement mauvais dans sa composition onirique. Aucun sentiment d’appropriation des peines, on ne ressent jamais le vertige d’un rêve ou d’un cauchemar ; tout reste figé, classique, cliché. Des pantins dont les ficelles sont tirées par une écriture qui frôle l’abrutissement. Les personnages en sont l’illustration : une gendarmette endeuillée après la mort de sa partenaire, une « méchante » danseuse appelée Betty, jouée par une insupportable Casimere Jollette, sous l’emprise de sa mère omniprésente et envahissante, un chorégraphe manipulateur et charmeur, ou encore Neveah, débarquée dans cet univers qui n’est pas le sien, avec ses névroses et son passé. On retire le personnage de Shane (Brennan Clost), peut-être un brin caricatural, mais assez drôle pour le rendre sympathique.

Un ensemble boursoufflé avec quelques phrases jetées en pâture – en voix off – pour combler le vide intersidéral et nous conter avec poésie le ballet. Tiny Pretty Things ressemble à s’y méprendre à un journal intime d’une ado fantasmant d’une vie de danseuse étoile, tout en y ajoutant une petite dose de mystère – il faut bien pimenter tout ça. Un assemblage exaspérant tant il regroupe une myriade de clichés adolescents, tant les rebondissements sonnent comme une farce.

On serait presque tenté de dire que cette série est inutile. On est loin du combat (physique et psychique) de Portman dans Black Swan, alors même que Netflix s’est empressé de présenter la programme comme un croisement entre l’œuvre d’Aronofsky et Pretty Little Liars. Tiny Pretty Things est loin du compte, très loin. Pour dire, elle n’est même qu’une alternative empesée de la série produite par ABC. L’enjeu est vain, tentant d’injecter une dose sulfureuse sans intérêt, surtout abrutissante. La sarabande de ces ados guidés par leurs hormones sortant de leurs oreilles a tout de la sortie de route.