Baromètre sériel #7 : 2 séries Netflix à voir ou à éviter

La folie de Los Gatos poursuit sur une cadence impossible à tenir. La firme au N rouge continue à rugir et les productions sérielles fleurissent comme jamais. Alors qu’en est-il des choix à faire ou à ne pas faire ? On bingewatch ou non, c’est votre rendez-vous habituel : le baromètre.

Quelqu’un doit mourir

Dans les années 50 sous l’ère Franco, l’Espagne n’est pas une terre d’accueil pour les homosexuels. Gabino (Alejandro Speitzer) revenu du Mexique avec son ami Lazaro (Isaac Hernandez) va éveiller les rumeurs et jeter le déshonneur sur sa famille. Une avalanche sociale pour dériver sur une privation de liberté. Les gays sont jetés au cachot ! 

10 ans exilé au Mexique, c’est avec un danseur de ballet que le fils prodigue revient accompagné. Un temps l’ambiance est à la joie, avant de rapidement basculer vers la violence. Une famille, 2 familles, un club de tir au pigeon. Les riches sont des gens respectables et normaux. La noblesse espagnole n’accepte pas les déviances, quitte à tirer sur le mouton noir du troupeau : le pauvre Gabino. Cible des rumeurs les plus dégoûtantes pour cette Espagne des années 50, une chasse à l’homme pour enfermer le poison avant qu’il ne se répande trop dans le sang royal. 

Le « petit Mexicain » comme fauteur de troubles, la famille Falcon va sortir de sa torpeur pour laver l’affront. Et quand bien même on trépignait en pensant au gros feu d’artifice mettant aux prises 2 familles, la vague de tumulte n’est qu’un tsunami avorté. Les tromperies et les mensonges ne font qu’accoucher d’un grand manifeste sur la liberté des sentiments, d’un amour profond et incandescent. Tout ça n’est qu’un échiquier mal fagoté, farci de dialogues mal emmanchés et étirant 3 épisodes sans intérêt. Si quelqu’un doit mourir, c’est peut-être nous, d’ennui.

Une nouvelle désillusion (ibérique) pour constater que les productions sérielles espagnoles estampillées Netflix continuent de décevoir, tout comme cette fichue Casa De Papel. 

Le Jeu de la dame 

L’échiquier comme refuge pour Elizabeth Harmon (Anya Taylor-Joy), orpheline et prodige des échecs. Disons-le tout de suite, cette histoire est purement fictive. Pas de malentendu à propos de l’existence de Beth. À 9 ans, suit à l’accident de voiture de sa mère, elle est envoyée dans un orphelinat bien morose, où la vie qui l’attend est loin d’être rose. Dans les années 60, dans un Kentucky gris et austère, c’est dans les sous-sols que la petite fille mutique trouve enfin un loisir : les échecs avec Monsieur Shaibel (Bill Camp), le concierge introverti de l’établissement. 

Une trajectoire ahurissante qui commence par une adoption tardive, à 15 ans, et une victoire surprise aux championnats du Kentucky. La rousse aux grands yeux marrons déclasse tout le monde. Mais tout génie s’accompagne d’addictions, et au pluriel. Déjà de petites pilules (anxiolytiques à la pelle), puis la boisson. Une bonne dose de fluide pour canaliser la colère, les névroses et les angoisses. Beth est un échiquier sur pattes. C’est au 3ème épisode, en pleine interview pour le magazine Life, qu’elle s’ouvre hors du damier. Cette gamine sur les couvertures de magazine perçoit les 64 cases comme un endroit où elle peut garder le contrôle sur tout ce qu’il se passe. L’anticipation et le besoin de marteler les faiblesses de l’autre pour masquer les siennes. 

Le génie ou la folie, Le Jeu de la dame est le miroir parfait d’une génie aux traumas enfouis. Les deux faces d’une même pièce : « tu as ton don et le prix à payer » lui assène Harry Beltik – le très juste Harry Melling. Le reflet d’une vie éventrée par le deuil et l’abandon. Sacrifier fous et cavaliers comme s’ils en existent des milliers, et attaquer le roi si vite que les adversaires se figent. Voici le stratagème de Beth, dans la vie et aux échecs. L’intime dans une position déglinguée, alors que sur l’échiquier, c’est une maîtrise singulière. Tout est dans le paradoxe, dans l’obsession répétitive du match parfait, pour une existence de cinglée.

Scott Frank, scénariste connu pour Minority Report, Logan ou encore Godless, signe un drame solide, une odyssée faite de hauts, mais surtout de bas. Le lever de coude et la mort pour se détourner fissa d’une existence obscure, Beth est parfaitement incarnée par Anya Taylor-Joy, dans un rôle dit mature pour l’actrice floridienne. Irriguant la série de sa classe, le récit de facture plutôt classique s’imprègne de cette élégance. Des épisodes qui s’enchaînent, enveloppés dans une bande-son sublime de Carlos Rafael Rivera, enclenchant la véritable partie d’échecs : Beth et son double sombre. Climat anxiogène et colère noire pour un cocktail sublime – mieux que le Gibson qu’elle s’enfile en hommage à sa mère adoptive. Le Jeu de la dame propose l’une des plus belles parties : celle de trouver la paix intérieure. Tout paraît juste, délicat et profond – la psychose liée à la créativité. L’écriture emprunte d’émotion dégage un magnétisme dévastateur. Une série à dévorer sur-le-champ !