Baromètre sériel #14 : 3 séries à voir ou à éviter

Notre bon vieux baromètre reprend du service. Netflix moissonne toujours autant avec deux séries dans le trio sériel du jour. Le retour de Ryan Murphy, une série documentaire explosive et un petit joyau de souffrance et de poésie, cette fois-ci sur Amazon. À voir ou à éviter ? Spoiler : cette sélection vaut le détour. 

THE SONS OF SAM (Netflix)

4 épisodes sur David Berkowitz, postier de 24 ans, célèbre pour avoir été le tueur qui a terrifié New York en 1976 et arrêté en 1977. Une année à tuer, commençant par Donna Lauria, la première d’une longue liste de cadavres. Et comme si l’affaire n’était déjà pas assez glauque, le meurtrier adressait des lettres anonymes aux autorités, ou encore aux journalistes qui couvraient les événements. Appelé un premier temps le tueur au calibre 44 par la presse, il s’auto-proclame « Le Fils de Sam », le fils de Satan, point de départ de l’enquête obsessionnelle de Maury Terry.

Narré par la voix reconnaissable de Paul Giamatti, se glissant dans la peau de Maury Terry, l’histoire avance à travers la lentille de ce journaliste devenu obsédé par cette affaire et par l’iceberg qu’elle constitue. Des lettres aux multiples références sataniques, du monstre de Belzébuth, le géant potelé, au livre de Pâques Noires, en passant par Éliphas Lévi, « The Sons of Sam » se terre dans l’ombre d’un meurtrier sociopathe, laissant apparaître une scansion terrifiante. Joshua Zeman, instigateur de la série, prend la barre et traverse les vents tourbillonnants dans lesquels Terry s’est abîmé : sa vie s’en est retrouvée noircie par sa fascination unique pour Berkowitz et les zones d’ombre de l’enquête. Une ombre semblable à ces sciences occultes, à des rites de magie noire qui nous emmènent jusqu’à Charles Manson ou encore la Process Church. Des sectes sataniques reliées aux meurtres perpétrés par Berkowitz ? Terry en est convaincu et Terry sombrera.

La descente aux enfers flirte avec les théories du complot et cette hystérie nationale à se noyer dans le satanisme qui frappait les années 80. Le bouquin de Maury Terry (« The Ultimate Evil ») et l’essor du journalisme – l’âge d’or – vont donner le ton : Maury Terry d’un côté avec sa folie obsessionnelle du sujet et la quête sensationnaliste des médias américains. Au milieu, Berkowitz a alimenté les spéculations, et Maury Terry a prolongé. Sa traque au démon Berkowitz l’a indubitablement envoyé vers les ténèbres de sa propre vie, devenant lui aussi une victime du « fils de Sam ».

« The Sons of Sam », outre le profil psychologique de Berkowitz, est avant tout l’histoire de Maury Terry et son combat avec à son « idole », mais également avec les autorités criant à la mascarade journalistique. 

HALSTON

Le Club 54, le fric, la mode, les spectacles électriques de Liza Minnelli et les addictions à la drogue, la mini-série « Halston » est ce condensé aussi grisant qu’autodestructeur. Ewan McGregor est brillant dans cette nouvelle production Netflix. 

Le créateur est un talent artistique mais un piètre entrepreneur. Son existence est aussi fulgurante que débridée. Une existence faite de folies, de soirées mondaines et de coucheries. Ce nom peut-être inconnu ici en Europe est une légende outre-Atlantique, donnant une nouvelle dimension à la mode américaine dans les années 60 et s’étalant jusqu’au début 90. Lui qui a rendu la robe dos nu chic se sabotait perpétuellement, masquant une enfance complexe dans l’Indiana. 

Son côté cassant, sa manière de « vomir » son snobisme pour asseoir cette supériorité teintée de fragilité, Roy Halston se cachait derrière son talent d’artiste pour le faire avaler aux autres ; il adorait le crier sur tous les toits, faire hurler son nom et sa destinée dorée. Né en 1932 et chapelier de formation, sa notoriété a pris l’ascenseur le jour où Jackie Kennedy arbore ses couvre-chefs. « Gloire à Jackie Kennedy », dit-il. Le début d’un long chemin vers la gloire et les tourments. Imposer sa griffe, mépriser ses concurrents : Calvin Klein, Oscar de la Renta ou encore Stephen Burrows ne sont que des bouffons pour le grand Halston. Balenciaga ou Dior trouvent grâce aux yeux du terrible créateur. Sa personnalité explosive va s’associer à un riche investisseur, joué par Bill Pullman, et lui permettre de s’élever dans le monde des affaires. L’empire Halston est lancé, perché dans l’Olympic Tower dont les bureaux sont tapissés de rouge.

Ryan Murphy et Ian Brennan, en adaptant le bouquin de Steven Gaines, retracent intelligemment l’ascension et la trajectoire d’un personnage au talent éclatant, mais au tempérament souvent ignoble. Un caractère brûlant et diablement bien porté par Ewan McGregor, peut-être dans l’un de ses plus grands rôles, épatant parfois ; le regard bleu et vide, il fait montre d’une profondeur pour imposer sa loi, affublé de ses longs manteaux et ses lunettes noires. Simplement sublime quand il tombe le masque dans une séquence – avec Vera Farmiga -, retraversant son enfance par le biais d’odeurs de différents parfums. L’acteur écossais est d’une justesse sans égale. 

THE UNDERGROUND RAILROAD

Au 19ème siècle, « The Underground Railroad » est cette tentative désespérée loin de la guerre, dans le sud des États-Unis. Cora Randall (Thuso Mbedu), née dans un champ de plantation en Géorgie, a échappé à ses patrons pour enfin atterrir sur un chemin de fer clandestin. Pas de métaphore, que non, mais bien un chemin de fer rempli d’ingénieurs et de conducteurs, et un réseau secret de voies et de tunnels souterrains dans le sud. Dans sa folle embardée vers la liberté, elle sera coursée par un chasseur d’esclaves, du nom de Ridgeway (Joel Edgerton), à ses trousses pour la ramener à son propriétaire. Cora changera de nom, se cognera à son passé avant de découvrir les délices d’une vie sans contrainte. 

Une épopée vers la liberté sur plus de 10 heures. Un cri de douleur traité avec tout le savoir-faire du maestro Barry Jenkins, assis sur son tabouret et peignant sur son support de peinture une fresque poétique pure et acerbe, un gros morceau à avaler prudemment tant il est difficile à digérer. La musique de « l’autre » maestro Nicholas Britell ne fait qu’élever cette atmosphère pesante mais d’une (triste) beauté à vous en faire frissonner.

En adaptant le roman de Colson Whitehead, prix Pulitzer, le virtuose Barry Jenkins compose des plans majestueux, prolongeant cette grâce aperçue dans « Moonlight » ou encore « If Beale Street Could Talk ». Aussi, le cinéaste retrouve cette posture qui fait sa singularité, portraiturant ses sujets qui vous fixent droit dans les yeux, laissant le spectateur mesurer l’ampleur du châtiment. « The Underground Railroad » est à s’y méprendre une introspection de l’âme, mais surtout de l’âme des États-Unis et son sombre héritage. Nous sommes invités à nous plonger dans la psyché humaine et fissurant cette couche pour en faire une succession d’épisodes – inégaux, mais tous avec leur force dévastatrice -, convoquant les affres de la race humaine. On suffoque dans ce grand huit de la mort, du sadisme, entre espoir et désespoir.