Avec Ad Astra, James Gray, l’un des réalisateurs les plus fascinants de notre époque, trace une quête emprunte de solitude, où l’égoïsme y trouve une place centrale. La finesse de Gray fait une nouvelle fois des merveilles.
Tout le monde a encore en mémoire le final déchirant de Two Lovers. Leonard (Joaquin Phoenix) fait sa demande, les yeux mouillés, toujours brisé par le déchirement que lui a causé la fuite de sa belle Michelle (Gwyneth Paltrow). Alors que c’est l’amour qui devrait l’emporter, c’est la solitude qui envahit la pièce où Leonard fait sa demande. Phoenix, le regard vide, ne sera jamais heureux, c’est une certitude. Dans Ad Astra, il y a de ça, de cet élan shakespearien d’une telle délicatesse qu’un simple plan vous fait tressaillir. Le regard de Roy McBride (Brad Pitt), toujours en contrôle – même dans les situations délicates, son pouls ne dépasse jamais 80 battements minute -, perd de son sang froid quand il apprend que son père serait peut-être encore en vie, aux confins du système solaire, à l’extrême limite de nos connaissances sur l’univers. Parti il y a 16 ans de cela, Clifford McBride, véritable héros parmi les astronautes, cherchait une preuve vivante de la vie extraterrestre.
« Nous sommes des dévoreurs de monde »
L’ouverture presque élégiaque. Une poésie spatiale qui recoupe soleil et silhouette humaine, celle de Roy McBride. Un forçat du travail, un solitaire indubitablement égoïste. Sa vie de couple est un désastre. Son existence est dédiée à l’exploration de l’espace. Le jour où il est appelé à enfiler son costume d’astronaute pour retrouver son paternel, soupçonné de créer un souffle menaçant la planète, Roy n’hésite pas, il se lance à corps perdu. Premier arrêt sur la Lune et première scène iconique : une course-poursuite lunaire, comme en apesanteur, d’une intensité inouïe. Les décors lunaires font place à la planète rouge, à la première tentative de communication de Roy avec son père.
L’Homme a colonisé la Lune, Mars, les transports sont monnaie courante à présent. « Nous sommes des dévoreurs de monde » s’insurge Roy, désabusé, conscient de la folie humaine, à vouloir déplacer les problèmes, ou plutôt à les fuir. James Gray pose un premier regard critique sur notre société, avant de reprendre une ode à la solitude, un rite sépulcral, une méditation spatiale et mélancolique. Percée cosmique pour un astronaute en mal d’affection, en mal de reconnaissance, Roy est tout en contrôle, d’un calme infini puisqu’il n’a rien à perdre face à la mort. Des traits qu’il tient de son géniteur : un père absent, happé par son envie d’aller plus loin que les autres, d’effleurer ce que personne n’a jamais réussi à faire. L’ambition au détriment de son rôle de père. Le fils essuie les péchés du père, il en hérite la souffrance éternelle.
Un segment sublime entre Mars et Neptune
Une voix off qui vous embarque dans les maux et les tourments d’un être esseulé. Un être profondément égoïste, à l’image de son père, désillusionné par ce qu’il entoure. L’espace amplifie cette sensation de solitude. James Gray brosse une trajectoire faite de réflexions et d’intériorité des sentiments. Le voyage entre Mars et Neptune, semé d’embûches, convoque First Man de Damian Chazelle : l’espace vous confine dans une bulle, dans une autre dimension. Plus rien ne compte, les abîmes de la solitude en guise de guide, l’esprit errant vers les étoiles mortes. Mélancolie parmi les hommes, parmi les astronautes en quête de vérité, de nouvelles formes d’intelligence pour combler un vide, une frustration. Vivre à travers la découverte pour mieux digérer le mal-être. Les différents entretiens pour évaluer l’état psychologique de Roy, chose ordonnée par son employeur SpaceCom avant et pendant la mission, démontre l’improbabilité d’un monde du travail toujours plus cadenassé par une fausse pensées positive.

Amplifiée par la sublime musique de Max Richter et magnifiée par la photographie de Hoyt Van Hoytema, l’odyssée spatiale se tisse entre pensées naissantes et évanescentes. Brad Pitt brille de mille feux, aussi renversant que la mise en scène et l’écriture de James Gray, teintée de sa mélancolie habituelle. Relation familiale mêlée au drame shakespearien, Ad Astra est ahurissant de beauté, de fragilité, de délicatesse. Le scénario clinique de Gray et Ethan Gross s’affranchit des règles spatiales pour dessiner les contours d’un film spirituel, mental, où rôdent les abysses existentielles. Un chef-d’oeuvre !
Casting : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Liv Tyler, Donald Sutherland, Jamie Kennedy
Fiche technique : Réalisé par : James Gray / Date de sortie : 18 septembre 2019 / Durée : 125 min / Scénario : James Gray, Ethan Gross / Musique : Max Richter / Photographie : Hoyt Van Hoytema / Distributeur suisse : Disney